Dire " Je t'aime " à son enfant à tout bout de champ ???

Portrait de cricri

En famille, entre amis, dans les magasins, on entend depuis quelques années à tout bout de champ des parents qui disent à leur enfant " Je t'aime ". Ce à quoi l'enfant répond au parent " Je t'aime " ! Je parle de contextes qui ne s'y prêtent pas bien entendu...

Cette sorte de pseudo-spontanéité me choque et me met mal à l'aise quand j'assiste à ce genre de scène intime...

Je me demande - et je vous demande - comment feront ces enfants, élevés à coup de " Je t'aime " récurrents , si - une fois devenus adultes - Cupidon s'absente ? Il me semble qu'établir ce type de lien oral dénué de limites et de cadre peut jouer des tours bien négatifs lorsque ces enfants, une fois atteinte leur majorité, vivront par exemple un refus sentimental ou un échec amoureux suivi d'une séparation non désirée ?

Mais peut-être avez-vous un avis plus nuancé que le mien ?

Portrait de Cécile. G.. Psychanalyste

Pour développer la confiance en soi d'un enfant, il ne suffit pas de l'élever dans un cocon d'amour parfait où il est le centre de toutes les attentions. L'enfant doit se heurter au non, au refus d'attention pour pouvoir accepter l'échec affectif puis amoureux.

Dans les premiers mois de sa vie, le bébé tente de contrôler sa mère par ses cris, ses pleurs : elle y répondra le plus souvent (il est en réussite de contrôle) en venant le voir et en satisfaisant sa demande et parfois elle sera occupée, lui dira non, et le bébé devra attendre (il est en échec de contrôle). C'est l'alternance de réussite et d'échec dans la relation affective avec sa mère qui permet à l'enfant, devenu adulte, d'accepter et de mieux vivre le refus amoureux ou l'échec amoureux dont vous parlez Cricri.  

Les "Je t'aime" récurrents ne le protègeront pas des échecs amoureux mais, de surcroit, ils sauront d'autant plus douloureux et deviendront des épreuves insurmontables. La vie est belle mais n'est pas toujours facile alors protéger un enfant c'est lui apprendre à franchir les épreuves, au risque de l'échec, mais certainement pas de lui éviter les épreuves car malgré tous nos efforts, il y sera confronté.

Portrait de Amélie

De plus en plus souvent, je me fais la réflexion quà 57 printemps, je suis déjà complètement "dépassée" pour ne pas dire "démodée" ou "d'une autre époque"... Oui je suis d'accord, dire "je t'aime" ce n'est pas pour moi quelque chose d'anodin. Non seulement cela doit rester dans un cadre intime, y compris vis-à-vis de ses enfants ! Mais en plus, je ne pense pas que le répéter aussi souvent, donne sa "vraie valeur" à ses termes. Je crois à l'intimité, parce qu'elle est là aussi pour respecter une pudeur, (et en dehors même d'un échange avec mon mari), pour avoir élevé 3 enfants, je sais que chaque enfant est différent... Et qu'ils traduisent chacun aussi avec leurs pudeurs personnelles, une "verbalisation" des sentiments. Et puis excusez-moi si je suis un peu directe (!) mais il me semble que s'il suffisait de dire "je t'aime" à tout bout de champ, pour qu'un enfant se sente aimé, ce serait vraiment d'une facilité déconcertante que d'être parent... Hors, nous savons tous, jeunes ou moins jeunes, que ce rôle là est un des plus difficile qui soit, ne serait-ce que par les responsabilités qu'il incombe et quand bien même nous faisons en règle générale, du mieux qu'il nous est possible avec amour, justement. Il me semble que "dire aussi légèrement" c'est comme galvoder la parole en tant que telle et c'est bien dommage.

Portrait de Gilbert

Des parents qui disent " je t'aime " pour que leur enfant leur répondent " je t'aime " sont à mon avis complètement infantiles. Ils inversent à mon sens les rôles et quémandent une sécurité de leur part, ce qui est un comble. Je trouve cela désolant. On sait bien que cette expression est ambivalente. Elle veut souvent dire " aime-moi ! ". D'ailleurs, lorsqu'un petit enfant veut s'assurer qu'il est " bien-aimé ", il vient le dire spontanément à sa mère ou à son père... Je pense qu'on a tous assisté à cet appel lançé par le petit d'Homme. Ce que vous évoquez, Cricri, me semble une sordide instrumentalisation, un commerce de bas étage, témoin d'une sacré immaturité parentale. Je vais peut-être choquer avec mes propos mais tant pis. Un enfant n'est surtout pas un perroquet. D'autant que ce " Je t'aime " se prononce aussi avec sa femme ou son conjoint. Quels dégâts en perspective ! Quelles confusions à venir ? Surtout lorsqu'on sait que l'enfant, à un certain âge, doit traverser une période complexe et être capable de prendre son envol sans maman et sans papa. Comme le souligne Amélie, s'il s'agissait de rabâcher " je t'aime " à quelqu'un pour l'aimer vraiment, ça se saurait. D'autant qu'il me semble que le propre de l'amour, c'est rendre l'autre libre et accepter aussi qu'il ait le droit de ne pas m'aimer...

Portrait de cricri

Vos commentaires m'ont bien fait comprendre pourquoi ces " Je t'aime " assénés n'importe quand et n'importe où me dérangeaient autant...

J'avais besoin de votre éclairage pour ne pas finir par culpabiliser...