Ma meilleure amie vient d'apprendre que son père était un collabo

Portrait de Danièle-Dax

Je suis tellement liée à ma meilleure amie que je suis autant atteinte qu'elle dans le drame qu'elle vit : elle vient d'apprendre par une source familiale fiable que son père, qui s'est suicidé par pendaison il y a 20 ans, avait été un collabo lors de la deuxième Guerre Mondiale. Elle est dévastée et je n'arrive pas à l'aider. Elle m'a confié il y a quelques jours qu'elle songeait même à se suicider...

Pouvez-vous me conseiller ? 

Portrait de Younes

Je ne suis pas un spécialiste de la psychologie mais je peux comprendre cette honte liée à nos parents. Je crois qu'il est important de prendre de la distance avec les actes de ce père et ne pas s'y identifier. Dans ma famille, il y a eu des choses terribles liées à la guerre d'Algérie. Une véritable haine fratricide à l'époque. Les cicatrices ne sont toujours pas refermées. Reconnaitre d'où l'on vient sans faire sien ce qui a été fait est difficile mais il me semble possible. Ne garder que les bons côtés peut-être ? Rien n'est tout noir ou tout blanc dans ces périodes. Peut-être aussi qu'un psy pourrait l'aider. J'ai vu il y a quelques mois un écrivain célèbre qui a écrit un livre, pour se libérer, où il met en cause sa filiation. Un de ses proches parents était un collabo...

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Tout enfant, pour se réaliser dans la vie adulte, doit traverser un axe de désidéalisation quant à ses parents. Ce qui ne veut pas dire qu'ils doive renier d'où il vient. Cette étape est d'autant plus difficile et surtout douloureuse lorsqu'une information de ce type est assénée. D'un autre côté, elle permet une explication au geste suicidaire de ce père qui n'a pas voulu assumer son passé. Cette vérité peut être in fine " libératoire " pour l'inconscient de votre amie. Elle n'est pas responsable des actes de son père et on dit qu'en psychanalyse tout se sublime. Il serait important, si elle en a le désir, que votre ami consulte un psychanalyste. Ce qui lui permettrait de comprendre et surtout d'accepter le fait qu'elle soit née dans cette famille. Comme disait Françoise Dolto, elle n'a pas choisi ce père par hasard et il y a toujours un sens à cela... Pour peu que l'on sorte d'un jugement qui n'est plus d'actualité.

Portrait de Lakshmi

Difficile de vous donner un conseil si ce n'est qu'il faudrait effectivement faire comprendre à votre amie qu'il serait bon de prendre de la distance et ne pas prendre à son compte les actions de son père. Mais d'un autre côté, vous n'êtes pas son psy. Essayez de transmettre un peu de paix. En ce jour de méditation mondiale, je vous envoie ce que je peux comme énergie de paix !

De tout coeur avec vous et votre amie !

Lakshmi

Portrait de Isabelle

Quelques années avant le début de mon travail analytique, j'avais été fort intéressée par une série d'émissions traitant du travail développé par le psychanalyste Bruno Bettelheim auprès d'enfants souffrants notamment d'autisme... Avec le travail analytique, je me suis donc intéressée de "plus près" à ce personnage "controversé"... Voilà quelqu'un qui à mon sens, a véritablement sublimé, certaines épreuves rencontrées dans sa vie... Juif Autrichien, il fut déporté à Dachau, puis à Buchenwald, dont il sera libéré en mai 1939, pour émigré aux Etats-unis. Cet homme témoignera, de ce qu'il observa du comportement humain, dans les camps de concentration... En 1936, Anna Freud publiait un ouvrage psychanalytique essentiel, "Le Moi et les mécanismes de défense", et Bettelheim avait lu cet ouvrage... Ce qui l'aidera "à observer avec une certaine distance", les mécanismes psychiques en lien à l'identification à l'agresseur. Le témoignage de Bruno Bettelheim, sera d'ailleurs "mis en avant" avec obligation d'en prendre connaissance (à la demande du Général Eisenhower), au sein des états majors de l'Armée américaine, dès 1943. Un texte intitulé "Comportement individuel et comportement de masse dans les situations extrêmes", plus largement développé par la suite dans son ouvrage "Le coeur conscient".

Toutes les histoires familiales, ont un lien plus ou moins ancien, avec des faits de guerre réels, qui génèrent dans les générations suivantes, par identifications tout autant que non-dits, des positionnements humains particuliers et douloureux... Je pense, tout comme Gilbert R. Psy, qu'il peut être extrêmement protecteur pour soi, pour ne pas dire salvateur, de s'adresser à un psychanalyste... Avec l'énorme avantage, de dire autant que d'être entendu, en "terrain neutre", ce qui permet entre autres, de dédramatiser et aussi de "remettre" nos parents (étant eux-mêmes "victimes" d'identifications "malheureuses"), à leurs justes places... Ce que je veux dire surtout, c'est que sortir d'un non-dit, est une chose... En faire quelque chose, donc donner sens, vient ensuite parce que justement on ne s'identifie plus à l'agresseur... Attention donc, à ces idées suicidaires... Par identification au père... Mais ce n'est que mon avis d'analysée...

Portrait de Charles

Mon père n'était pas un collabo (enfin je ne crois pas) mais au niveau de la loi il était (il est toujours d'ailleurs mais j'ai coupé les ponts...) très très discutable. J'ai eu la chance, grâce à des rencontres et surtout à ma soeur aînée, de ne pas m'identifier à lui. Votre post m'a fait beaucoup de bien dans la mesure où il m'a permis de comprendre ce qui s'est passé inconsciemment en moi. Je n'ai pas fait de psychanalyse mais je crois que la musique m'a permis presque d'en faire une... Ce qui ne m'empêche pas d'y penser quand même, aux vues de ma difficulté de m'engager dans un couple. En tous cas merci infiniment pour cette approche et votre facilité à transmettre votre expérience mais aussi la théorie de la psychanalyse. Ce qui donne envie d'être " analysé " comme vous. Très bon dimanche et encore toute ma gratitude !

Charles

Portrait de Isabelle

S'il est vrai que je mets en avant, le travail analytique, c'est, par témoignage de ma propre expérience comme vous le soulignez... Je suis d'accord avec le fait, que chaque individu, à ses propres clés, et le domaine artistique peut apporter effectivement, d'excellentes possibilités de sublimation... L'essentiel étant que l'être humain vive sa vie du mieux possible... Une question de foi ?

Portrait de Charles

Je ne savais pas qu'il y avait quelque chose de l'ordre de la Foi qui brillait quelque part en moi... Depuis que je viens sur ces forums, je saisis qu'elle peut prendre diverses formes, la psychanalyse, la spiritualité et en ce qui me concerne la musique et que rien n'est finalement compartimenté. Il y a des ponts à voir  !

Portrait de M.Christine

Ce qui me vient à l'esprit et pourrait peut-être soulager votre amie :

1) Son père était jeune à l'époque . Et Dieu sait son est influençable quand on est jeune . On fait toutes sortes de bêtises plus ou moins graves . Et comment aurions-nous réagi nous-mêmes face à ce terrorisme ...?

2) Rien n'indique que son père était un pro-nazi convaincu . D'ailleurs son sucide prouve, il me semble, qu'il a eu de gros états d'âme donc une sensibilité et probablement de la culpabilité . Beaucoup n'ont jamais regretté leur comportement, ils n'ont même jamais compris ce qu'on leur reprochait !

Portrait de Jean

Mon oncle s'est suicidé par pendaison dans les années 50. On a appris par la suite (c'est ce que ma mère m'en dit) qu'il était chargé de dénoncer les femmes qui avaient couché avec l'ennemi et qu'on rasait et exposait à la vindicte populaire. L'histoire de l'identification à l'agresseur expliquée par Isabelle est très parlante. Dans ces périodes, ce qu'il y a de plus bas en l'être humain peut se manifester, comme ce qu'il y a de plus beau d'ailleurs. Quel que soit le camp dans lequel on se trouve, qui aujourd'hui, come le dit M. Christine, sait comment il aurait réagi dans certaines conditions ? Facile de porter un jugement des années après. Sans compter qu'on a vu des hommes politiques de l'après-guerre pas tout a fait net avec cette Histoire. Le père de votre amie a fait des choix pendant cette période dont on ne peut connaître les raisons conscientes et surtout inconscientes. C'est un drame pour elle  - et on peut comprendre - car elle avait imaginer (Oedipe aidant) un autre scénario. Je pense effectivement que libérer tout cela en le déposant chez un pro de la parole peut apaiser ses souffrances et surtout lâcher une mauvaise identification en conservant les côtés positifs de cet héritage... Car il y en a sûrement...

Portrait de yamina.174

En lisant ces posts, je me dis que tout a été évoqué avec une justesse impressionnante. Effectivement, quand on n'a pas connu soi-même la guerre, on ne peut pas critiquer les agissements de ceux que l'on targuait de bourreaux à l'époque, aussi détestables et graves que ces agissements aient pu l'être. Sans compter qu'aucune rumeur familiale - ou autre d'ailleurs - ne devrait être écoutée... Votre amie devrait intégrer cette évidence pour ne pas juger son père et surtout pardonner aux colporteurs qui, en véhiculant des faits passés, sont eux-mêmes de vraies bombes à retardement. Ces individus sont à fuir car ils ne font qu'exprimer le drame de tout conflit : la délation.

Portrait de Lakshmi

Votre post résume bien la problématique, Yamina. La délation n'a pas seulement droit de cité (malheureusement) qu'en temps de guerre !

Portrait de Charles

Je suis convaincu que le pardon (pas évident du tout) est la seule issue dans ces cas là. J'y travaille moi aussi et grâce à des commentaires comme celui de Yamina et de bien d'autres, je sais que j'avance.

Portrait de Orlan

Complètement d'accord avec Yamina.

Personnellement, quand j'entends ce genre de récit dramatique, j'ai envie d'aller tordre le cou (au figuré bien entendu) à ces agresseurs " bien sous tout rapport " qui prennent un sale plaisir à foutre la merde, en particulier dans les familles. Malheureusement, on en connaît tous, y compris dans la sphère sociale et même " amicale ". Lamentable !

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Les gens qui font ce type de révélations sont évidemment de grands malades. J'avais oublié de le préciser. C'est aussi une chose à expliciter à votre amie et ça s'appelle une projection car, comme l'implicite Yamina, ce sont de grands délateurs en puissance qui auraient fait certainement pire que le père de votre amie. A fuir évidemment de toute urgence, je confirme !

Portrait de Cécile

Ces gens sont pathétiques et à plaindre en effet. Si votre amie prend conscience de cela, je crois qu'elle verra les choses différemment et que ses idées de suicide s'estomperont... Qu'elle identifie bien la personne responsable de cette rumeur mortifère et assassine !

Portrait de Danièle-Dax

Vos commentaires sont très apaisants et très respectueux d'une époque que l'on n'a pas connue. Personnellement, j'apprécie beaucoup la distance que vous avez su prendre par rapport à cette histoire pour le moins embarrassante. 

Par conséquent, je vais essayer au mieux de transmettre votre approche prudente et raisonnable à mon amie et, la connaissant par cœur, je sais que cette prise de conscience à avoir quant au pardon va aller dans le sens de  ce qu'elle est fondamentalement, c'est-à-dire une très belle âme, et ça la soulagera beaucoup.

Merci et belle soirée,

Danièle

Portrait de Jean

Je crois que chacun, au fond de soi, abrite une belle âme. Le problème, c'est que nous avons l'art de la salir (la nôtre et celle des autres) par des jugements et des projections. Je suis heureux que cette discussion puisse contribuer à apaiser votre amie !

Portrait de LL

Tous vos posts me font penser à un texte écris et chanté par JJ Goldman...

"Si né en 17 à leidenstadt, aurais-jé été meilleur ou pire que ces gens, si j'avais été Allemand... "

Jean Jacques Goldman est est d'origine juive polonaise et sa mère est allemande, et il trouve le moyen de ne pas juger ce que certains ont fait dans un contexte.

A chcun d'entre nous, je nous souhaite la force d'accépter, de pardonner, et d'aimer.

Portrait de Charles

Je vais chercher et écouter cette chanson sur le net. Je l'ai entendu il y a longtemps mais je ne m'en souviens plus. Merci LL pour cette piqure de rappel !

PS : voici le lien pour qui ça branche : " Né en 17 à Leidenstad "

Portrait de Isabelle

Ce roman de William Styron, à la suite duquel, il y aura également un film avec la même identité (et pour lequel l'actrice Meryl Streep recevra un Oscar), relate à mon sens toute l'ambiguité, et les souffrances humaines face à des évènements violents et graves, qui mettent les vies en périls... S'il n'est pas question de "cautionner" les faits de guerres quels qu'ils soient, je reviens avec ce post, pour abonder dans le sens de ce que dit Yamina.174, sur la place du pardon... Plus j'avance dans ma vie, et plus il me semble essentiel à développer pour soi et quelques autres... Un chemin difficile, mais incontournable vers la paix... Sous toutes ses formes...

Portrait de M.Christine

Personnellement, je me sens incapable de condamner quelqu'un d'emblée sans éléments suffisants .

Je me pose des questions ... La personne qui a révélé les faits l'a-t-elle fait pour nuir, pour répondre à une question latente, pour mettre fin à un secret de famille insupportable ? Pourquoi avoir attendu 20 ans ?

Et maintenant, cette personne est-elle contente ou désolée ?

Faut-il fuir la vérité ou lui faire face ?

Je ne doute pas que l'amie de Danièle soit une très belle âme . Sans doute devait-elle affronter cette épreuve . Rien n'est l'effet du hasard . Nous avons nos périodes de maturité .

Je suis sûre, Danièle, que votre amie trouvera la force d'affronter sa douleur, et qu'elle a les ressources pour grandir encore plus en lumière . Elle peut aussi compter sur votre précieuse amitié . Je lui souhaite sincèrement la meilleure issue dans ce moment difficile .

Portrait de Gilbert

Il ne s'agit pas de condamner, M. Christine, mais je pense que dans ce genre de révélation - qui fait très mal -, il y a toujours un règlement de compte à la clé. Pour exemple, je vais parler de moi, même si la révélation n'est pas du même ordre. Lorsque j'avais 13 ans, mon grand père m'a asséné que mon père n'était pas mon père ! Une véritable catastophe pour l'adolescent que j'étais. Il m'a fallu des années (j'étais très inhibé) pour oser en parler à mes parents. J'ai vécu avec ce fantasme jusqu'à ce qu'un thérapeute me fasse réaliser que mon grand père réglait en fait ses comptes avec mon père qui ne m'avait pas reconnu à la naissance mais un an après. Cette révélation (fausse) a fait beaucoup de dégâts même si je sais maintenant que cela faisait partie de mon chemin de vie. Oui, pourquoi avoir attendu 20 ans ? On peut se poser la question sur cette personne inconséquente, à mon sens ! Comme mon grand-père qui a attendu 13 ans sans se rendre compte du mal qu'il me faisait... Et d'autant plus que j'aimais bien ce grand-père, ce qui est pire car il a aussi utilisé cette complicité affective !!!

Portrait de M.Christine

C'est en effet une expérience très traumatisante, ce que vous racontez, Gilbert !

Et je crois que, finalement, nous faisons toujours des transferts dans nos interprétations d'une situation . Nous y mettons toujours nos références personnelles . C'est humain et presque inévitable jusqu'à ce que nous devenions complètement objectifs, débarrassés de toute émotion parasite . La maîtrise totale, quoi !

Ainsi vous dites : "La révélation, il y a toujours un règlement de compte à la clé ." En effet, c'est votre vécu, mais ce n'est pas mon avis car j'ai un autre vécu . Disons que c'est peut-être souvent le cas, mais pas toujours .

Vous voyez, Gilbert, c'est curieux comme la révélation d'une "vérité" peut être libératrice ou cause de souffrance . Mais, dans votre cas, c'était un mensonge, pas une vérité . En plus, pour vous, il y a cette notion de trahison de la part d'un grand-père aimé . Pour moi, le sentiment de trahison est dans l'autre sens, celui de la non-reconnaissance des faits .

Portrait de Gilbert

Merci à vous aussi pour la confiance que vous nous faites en vous livrant de la sorte. Je crois avoir saisi vos arguments mais je ne peux m'empêcher de rester sur ma position. L'amie de Danièle était quand même très mal jusqu'à avoir des idées suicidaires. Que ce soit vrai ou faux, en attendant la personne qui a fait cette révélation n'a pas assuré quant aux conséquences.

Non, je pense que toute vérité n'est pas bonne à dire à n'importe qui, n'importe quand et n'importe comment. Même si c'était faux, mon grand-père m'a quand même laissé me dépatouiller avec ça. Et c'est une broutille comparée à ce que l'amie de Danièle a pris en pleine face. Si cela avait été bienveillant, Danièle-Dax n'aurait pas pris la peine de venir nous en parler.

Cette question de la vérité (et puis qu'en sait-on vraiment sans avoir vécu cette époque ?) est très ambivalente. On posait la question à Françoise Dolto pour savoir s'il fallait dire à un enfant  " condamné " par la médecine qu'il allait mourir. Dolto a répondu aux soignant : " Mais qu'en savez-vous ? ". Cette question m'a beaucoup intérrrogé. Dire la vérité, oui, à condition que celle-ci ne fasse pas plus de mal qu'il n'y en a déjà ! Mes amis psys m'ont toujours dit qu'il fallait respecter la maturité psychique de l'interlocuteur à qui on a à faire. Je pense que cette notion est très importante. En tous cas merci pour ce partage qui me permet d'affiner ma réflexion sur ce sujet épineux. Je pense, in fine, que La Vérité est assez inaccessible. Et là vous avez raison, à chacun " ça " vérité !

Portrait de M.Christine

Vous avez certainement raison, Gilbert . Je sais qu'il y a des conditions à la révélation d'une vérité . Pas de polémique . Tout est bien ainsi ...

Portrait de Gilbert

J'ai apprécié notre petit débat évolutif, M. Christine. L'important étant que ce partage aide l'amie de Danièle et Danièle elle-même quant à un juste positionnement de sa part.

Passez un beau dimanche !-)

Portrait de M.Christine

Merci encore pour ce "petit débat évolutif" comme vous dites ! Il a été très instructif et fructueux .

J'envoie mon soutien renouvelé à l'amie de Danièle .

Bon dimanche à vous .