Deux amies, athées, viennent de décéder à une semaine d'intervalle. L'une est allée jusqu'au bout de ses convictions et ses obsèques furent civiles. L'autre a eu un service religieux...
Pour Jean Anouilh, " la sincérité est un calcul comme un autre ". La vie, malheureusement, le démontre chaque jour : amour, amitié, famille, travail, rien n'échappe à cette particularité complexe car il y a les autres... Cet entourage qui empêche et modifie à l'envi nos élans qui se voudraient pourtant assurément authentiques.
En premier lieu, ce fut la joie pour Pierre, encore étudiant, qui désirait à l'époque devenir œnologue, quand son oncle lui a proposé un job pour l'été dans sa propriété viticole. La déception ne tarda pas à arriver : les tâches subalternes se succédaient sans aucune formation sérieuse qui puisse lui servir sur la voie professionnelle qu'il s'était tracée. À la fin de cette période, le neveu a remercié chaleureusement le frère de son père (mauvais reliquat d'une éducation surmoïque), malgré sa rancœur qu'il n'a d'ailleurs toujours pas évacuée. Pierre n'est jamais devenu œnologue. Certains diront qu'il n'était pas fait pour ce métier, tandis que les psychanalystes - dont la base de travail est le lien transférentiel - assureront que l'attitude de l'oncle n'est pas étrangère au renoncement du cursus de Pierre. Quant aux spiritualistes, ils affirmeront sans doute que le jeune homme s'est de toute façon protégé. Quoi qu'il en soit, personne ne saura jamais quel type d'anxiété fantasmatique son psychisme a développé mais ses efforts pour ne pas livrer le fond de sa pensée sont, eux, bel et bien réels.
Les exemples sont ainsi légion qui court-circuitent l'authenticité. Il n'y a pas que la bienséance qui la bloque. L'angoisse d'abandon est tout aussi redoutable... Gisèle n'a jamais trouvé l'énergie de dire à son mari, qui la trompait ouvertement, la colère qu'elle avait contre lui. Elle faisait comme si elle ne savait rien des frasques de son époux par peur qu'il ne l'abandonne. Née de " père inconnu ", la simple idée de se retrouver seule entre quatre murs la déprimait au plus haut point. Elle a fini par s'enfoncer dans la maladie d'Alzheimer, " solution " tout aussi inconsciente que démoniaque pour que son conjoint s'occupe d'elle et ne la quitte pas... Nos mécanismes de défense nous coûtent cher au final mais peut-il en être autrement ?
J'avais interviewé il y a quelques années une actrice. Elle m'avait donné des détails sur son enfance et la profession de ses parents. Dans un récent entretien qu'elle a accordé à un magazine, cette même actrice retrace son parcours : son enfance nouvellement relatée y apparaît très différente, tout comme le métier de ses parents ! Passé l'effet de surprise, j'ai mesuré toute la souffrance intérieure qu'elle devait abriter encore malgré sa starisation, sans jamais avoir saisi comment se défaire des quelques zones intimes qui la gênent et qui, cependant, ont façonné sa personnalité... Cette femme, d'un certain âge, est donc toujours complètement engloutie par les regards extérieurs. Comme souvent tout un chacun du reste.
En revanche, si les convenances dont on hérite, ou qu'on se fabrique, sont en partie responsables de notre manque de sincérité masqué, il est possible de résoudre ce penchant discutable. Pour y parvenir, il suffit de retourner aimer ce que nous avons été au commencement pour apprécier ce que nous sommes aujourd'hui car, en fait, il n'y a pas de différence ! Il ne s'agit pas de vouloir mesurer notre évolution, réaction certes confortable, mais plutôt de reconnaître, d'admettre et d'accepter que, dès le départ de notre incarnation, c'était bien comme ça... C'est-à-dire qu'à l'inverse de l'eudémonisme qui fait du bonheur le but et la quête suprême de l'existence, engendrant par voie de conséquence tyrannies et autotyrannies, il devient raisonnable de considérer le narcissisme comme disposition naturelle et légitime de l'Homme dans la mesure où il est indispensable à la confiance en soi. Cette objectivation, qui devrait être élémentaire, laisse de côté la question même de la sincérité qui devient inutile. Autant dire qu'elle l'annule de facto. Effectivement, excluant tout idéal qui nécessite l'approbation exogamique, elle génère un rappel à l'ordre indispensable : Si je ne suis pas moi, qui suis-je ? De l'interpellation en bonne et due forme pour revenir à soi et pouvoir s'ouvrir correctement aux autres en tout authenticité.