Les soins psys par téléphone ?

Portrait de suzy

Au Québec, pays dans lequel il va finir bientôt par y avoir plus de thérapeutes que de patients (!), les patients prennent le prétexte de faire leur thérapie par téléphone ou par visio à cause du froid polaire et de la neige en hiver, ou à cause des distances en été ! J'ai l'impression qu'en Europe les psys sont plus réticents devant ce moyen de soins psychologiques qui monte ? En France ou en Angleterre, pays où je me rends fréquemment en congrès, j'ai cru comprendre que les consultations par téléphone ce n'est pas votre tasse de thé ! Essentiellement pour la cure psychanalytique à cause du divan. En venant sur vos forums, je vois malgré tout que des psys font bouger les mentalités en faisant des séances psychothérapiques par téléphone, skape... Je serais très heureuse d'avoir votre avis, que vous soyez professionnels, patients qui bénéficient de cette révolution dans la communication ou même foromers. Je publie dans une revue médicale et ça m'intéresse que vous m'offriez votre expérience ou votre évaluation.

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Bonjour Suzy,

J'ai apprécié votre trait d'humour à l'évocation du fait que dans votre pays il va y avoir plus de thérapeutes que de patients. Vous évoquez effectivement la dérive qui consiste à s'auto-proclamer un peu trop facilement thérapeute.

Pour répondre à votre question, il m'arrive d'accepter des séances d'entretien psychanalytique par téléphone, voire par skype. Cependant, je crois important de ne pas se vautrer les yeux fermés dans cette possibilité. Pour ma part, je ne le fais qu'exceptionnellement lorsque mon interlocuteur n'a pas d'autres possibilités :

1) La distance géographique : une de mes " analysantes " par téléphone, par exemple, était une professionnelle de la relation d'aide (sophrologie) ayant déjà fait un travail sur elle avec un psychologue Souhaitant aller plus loin au niveau de son inconscient, elle m'a appelé pour m'en parler. Demeurant à l'autre bout de la France, elle pouvait difficilement se déplacer et avait un agenda professionnel chargé. Dans ce cas, j'ai accepté. Cette analysante a pu, par l'intermédiaires de ces séances téléphoniques, déposer son principe de guérison. Il est important de comprendre que le travail fait en amont par le psychologue avait déjà préparé cette issue favorable.

J'ai eu aussi une autre thérapeute qui désirait un travail plus didactique, s'intéressant à la Psychanalyse. La distance était, là aussi, un obstacle. Nous avons donc commencé des entretiens analytiques par téléphone. Au fil des séances, elle a pu identifié un désir de formation psychanalytique. Elle a fini par s'inscrire, malgré la distance, dans un Centre de formation en concentrant les cours et sa cure sur une journée (qu'elle a pu libérer au niveau de sa profession). Tout cela s'est fait à son rythme. Elle poursuit aujourd'hui son analyse didactique en face à face (je ne pratique pas le divan) et prend ses rendez-vous le jour où elle est en formation. Pas question évidemment de continuer les entretiens téléphoniques avec elle, ce qui relèverait d'une regression dans la poursuite de sa cure. J'aurais d'autres exemples pour témoigner de cette pratique par téléphone liée à la distance géographique mais je ne voudrais pas être trop long...

2) La phobie sociale : j'ai accepté, depuis peu, des entretiens par skype au profit d'un patient souffrant d'une phobie sociale, que l'on pourrait qualifier d'agoraphobie en ce qui le concerne. Là aussi, la technologie est un superbe outil. Ce travail de psychothérapie analytique est en très bonne voie... Je tiens à préciser que je refuse de prendre un patient qui aurait des vélléités à abandonner un éventuel traitement médical. Par skype, on peut demander à voir les médicaments et ainsi se renseigner au niveau d'un médecin psychiatre, ce que je n e manque pas de faire.

J'espère, Suzy vous avoir un peu informée, quant à moi en tous cas. Je vous signale, au passage, que ce sujet a été aussi évoqué dans une précédente discussion. Il y a notamment un excellent commentaire de Sofia. M que je vous invite à lire - si toutefois ce n'est pas déjà fait -, ce qui évitera d'inutiles redites, d'autant que je suis totalement en accord avec ce qui est transmis. Je vous donne le lien :

http://votre.signesetsens.com/comment/7141#comment-7141

Bonne journée de l'Ascension à vous et à très bientôt.

Cordialement

Gilbert. R.

Portrait de yamina.174

Pour ma part et indépendamment de ce qu'a développé Gilbert R. Psy, je pense qu'un psychanalyste compétent, voire doué, prendra en compte cette communication singulière qui remet en place métaphoriquement un " cordon ", ce dont il tiendra compte jusque dans le transfert.

Une cure par téléphone nécessite une écoute du " discours " (terme lacanien qui signifie un langage propre à l'inconscient, pétri de désirs, de jouissance et d'interdits) qui, quel que soit le moment psychogénétique revisité par le binôme psychanalyste-analysant, aura pour obligation de garder un éclairage systématiquement oral comme étayage. Les " interventions " du praticien dans le renvoi du transfert et autres scansions pour les lacaniens devront rentrer, sans aucune exception, dans ce cadre spécifique. Du grand art quoi qu'il en soit... À l'inverse, si le psy est incompétent et utilise le téléphone par facilité, il est bien évident que l'analysant pourra donner l'illusion d'avancer mais ce ne sera qu'à la défaveur des projections dudit thérapeute. Cette erreur de guidance entraînera le renforcement d'une identification certes transférentielle mais comme, inconsciemment, on ne choisit pas un thérapeute par hasard (" ça parle ", disait Jacques Lacan), une mauvaise identification parentale sera décuplée... Autrement formulé, toute consultation psychanalytique par téléphone exige une vigilance extrême. Rajoutons à cette " démarche " que le patient ne se " déplaçant " pas, il est en état de passivité, ce qui est une des caractéristiques de l'oralité. Par voie de conséquence, les analysants qui, quelle(s) que soi(en)t la raison ou les rationalisations de ce choix du soin par téléphone, auront des attentes elles aussi décuplées de la part du psychanalyste qui devra - de fait - anticiper la force des transferts négatifs... Et ce que je précise dans ce post n'est qu'un aperçu des contraintes et de la rigueur que mobilise ce type de prise en charge...

Ceci étant, on peut convenir de la nécessité de l'adaptation de la psychanalyse dans un contexte sociétal dominé par les progrès technologiques et leurs conséquences sur l'être humain, aussi bien positives que négatives. Le " soin " par téléphone peut donc s'envisager mais requiert donc une solide réflexion lors de l'entretien préliminaire. Oui au principe, mais certainement pas dans n'importe quel contexte... C'est d'ailleurs aussi ce qu'envisage de plus en plus la médecine, y compris pour des opérations chirurgicales à distance... J'en reviens dans tous les cas au transfert qui en sera de toute façon modifié... Avec le risque d'une " guérison " plus hypothétique...

Portrait de suzy

Je vais pouvoir faire une synthèse intéressante de vos arguments.
Je me suis rendue sur le commentaire de Sofia. Riche aussi.
Je vous adresse mes remerciements confraternels.
Suzy