Il serait facile d'imaginer que le moindre comportement névrotique trouverait sa résolution dans le recours à la méthode freudienne. Pourtant, ce raisonnement est faux. Effectivement et indépendamment du fait que cette vieille dame n'a jamais que cent ans et qu'on pourrait se demander comment faisait l'être humain avant son avènement, il est des enfants, des adolescents, des adultes, qui parviennent à dépasser leurs angoisses en élisant des médiations d'un autre type. Il s'agit d'un des mystères de l'inconscient...
Si le milieu familial joue un rôle important dans la " débrouillardise psychologique ", la façon d'élever un tout-petit, le climat dans lequel il se développe, ne suffisent pas à comprendre le choix juste que certains font et utilisent quand les difficultés surgissent en chemin. Car, si les Petits chaperons rouges sont légion, les surdoués de la sublimation existent aussi en grand nombre et quelle que soit l'époque qui les a vus naître. J'en veux pour exemple le souvenir de deux de mes camarades de lycée. En cours dit d'Éducation physique, au début des années 60, le professeur de cette matière nous permettait de temps en temps de jouer au " Ballon prisonnier " : quand Michelle voyait qu'elle perdait, elle baissait les bras et se faisait éliminer de facto, tandis qu'à l'inverse, Hélène se battait jusqu'au bout de ses possibilités, sans jamais se décourager face à la tournure négative momentanée du jeu, finissant victorieuse le plus souvent... Cinquante ans plus loin, il m'arrive encore de revoir évoluer ces deux jeunes filles sur le terrain de sport : un miroir précieux mais qui ne résout pas les fondements de la capacité qu'ont des personnes à trouver les outils dont elles ont besoin au moment où les événements de leur vie pourraient les inciter à basculer du mauvais côté. Mais cette explication, il ne faut surtout pas tenter de la découvrir en fouillant dans leurs souvenirs dans la mesure où elle ressemblerait vite à une " analyse sauvage ". En revanche, constater leurs réactions positives, les observer, devient une transmission identificatoire de l'ordre d'une didactique efficace...
Si Antoine, accablé depuis le décès par accident de la route de sa jeune épouse, lit et relit les ouvrages de David Foenkinos, y trouvant toujours de quoi rebondir, Suzanne travaille la Bible et prie avec la certitude que l'Esprit Saint viendra lui apporter les clés qui lui sont nécessaires pour ne pas se laisser invalider par la trisomie de son petit garçon. Deux approches différentes devant deux destinées différentes mais avec un invariant : s'appuyer in fine sur une forme de communication muette et abstraite. Il s'agit d'un dialogue avec soi, plein de sens d'ailleurs puisque tout un chacun abrite de quoi dépasser ses blessures. Si ce guide intérieur est là et bien là, disponible à tout instant, il sait se taire quand certains profils humains ressentent un appel impérieux qui consiste à entendre leurs maux mis en mots et enfin libérés grâce à la résonance transférentielle du psychanalyste. Ceci étant, cette évidence pousse à rappeler que l'éthique du thérapeute se doit de détecter, dès l'entretien préliminaire, si un analysant potentiel - et ce, quel que soit son âge - peut faire " l'un-passe " d'une cure par la parole... J'induis ici que des " patients " viennent consulter à reculons, influencés par leurs proches. Le simple fait de leur expliquer pourquoi ils ne relèvent pas du " divan " rétablit leur narcissisme qu'ils ne laisseront plus affaiblir... J'aime la lucidité de Patrick Modiano quand il écrit : " J'avais 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance "... À l'instar de la pensée de Modiano, la psychanalyse est une école de liberté personnelle dont les contours sont indéfinissables pour le... praticien ! N'en déplaise au " Sujet-supposé-savoir " décrié, à juste titre, par Jacques Lacan. Il arrive donc parfois qu'un tout premier entretien en face-à-face n'en appelle pas d'autres, cette tentative inachevée offrant au lien libidinal évoluant entre ces deux êtres étrangers, et qui le resteront à tout jamais, l'absurdité apparente de la non-nécessité d'une prise en charge. Pourtant, émerge sans exception de ce secret la révélation de ce qui " se crée " sempiternellement : une re-flexion. Cette re-flexion pourra ramener l'inconscient (toujours lui) à ne plus être dorénavant... inconscient, lui rappelant ainsi qu'il est seul maître de son destin. Et puis, après tout, si " l'acte symbolique du paiement " a une valeur avérée pour tout psychisme pathologiquement culpabilisé pour en finir avec ses dettes fantasmatiques, comme le suggère aussi d'un humour grinçant Foenkinos, les indications névrotiques bien affichées peuvent tout de même permettre de lever les " écrans " sans qu'il faille impérativement projeter sur un " objet " professionnel amour et haine. L'écrivain s'étonne, avec pertinence, " que les cliniques de l'Éducation Nationale pour les professeurs qui font des dépressions s'appellent Camille Claudel ou Van Gogh " ! Il interroge : " Pourquoi donner le nom d'une sculptrice qui a passé 30 ans dans la folie pour une clinique pour dépressifs ? "... Par voie de conséquence, on peut se demander sur quel versant se situe le déséquilibre ? Qu'est-ce finalement que l'anormalité ? Et à partir de quelle objectivité (impossible ?) pouvons-nous prétendre à la normalité ?
L'humilité, la vraie, telle que la conçoit la psychanalyse, livre une réponse solide et fiable. Elle rejoint les vues de Marie von Ebner-Eschenbach qui constate que cette vertu rend invulnérable. Pour autant, la fausse humilité a l'art de se déguiser habilement dans le transfert dit positif qui fait jaillir de la fausse soumission, de la fausse modestie, de la fausse séduction : l'oralité, dans la cure ou dans la vie, nous en sert des tonnes... À l'inverse, lorsqu'un Sujet est humble, il a la capacité intrinsèque de s'autoanalyser de manière réaliste : pas de complaisance facile à son égard mais pas de tyrannies démoniaques non plus... Il ne se " déforme " plus ! S'il a conscience de ses manques, de ses dysfonctionnements, il connaît aussi ses points forts, ne se transformant en éternel chercheur de lui-même que dans des secteurs où l'incompréhension de ses réactions l'égare et le rend fragile. Il refuse cette fragilité, pétrie de plaintes pratiques, sachant pertinemment qu'il n'a pas à faire subir à son entourage ses faiblesses. Il est ainsi des humains qui sont suffisamment prêts instinctivement pour accepter l'inattendu pour ne pas avoir à rendre visite chaque semaine à un disciple de Freud. Ce ne fut pas mon cas mais je ne le regrette pas...