En récitant le " Notre Père ", nous demandons à Dieu de nous délivrer du mal. Comme dans toute prière, la subjectivité règne en maître et les projections aussi... Mais il s'agit d'une prière où toutes les demandes d'aide sont permises : " Frappez, On vous ouvrira " - " Que vos demandes ne soient pas tièdes "... Toutes ces invitations à solliciter Le Très-Haut sont donc tout à fait légitimes du point de vue du croyant puisqu'encouragées par les Écritures Saintes. Cependant, cette question du mal reste vaste car elle peut s'entendre et se comprendre de deux façons bien différentes...
. Le mari de Virginie est violent : Virginie appelle la délivrance, c'est-à-dire que son époux ne soit plus violent.
. Francis est atteint d'un cancer du côlon : il supplie Le Seigneur de le délivrer de ce mal.
Dans le premier cas de figure, c'est un autre qui est assimilé au mal.
Dans le deuxième cas de figure, il s'agit du malade lui-même.
Des suppliques humaines et pourtant si différentes en apparence mais qui visent toutes deux l'harmonie de l'individu qui prie, ce qui n'exclut en aucun cas le bien de l'entourage quel qu'il soit.
Cette réflexion peut donner une piste à celles et ceux qui se plaignent que leurs prières restent vaines. Le fait de leur dire et de leur répéter que tant que la situation ne bouge pas favorablement pour eux a sa raison d'être n'en est que plus douloureux avec le temps qui passe. Ils peuvent alors se diriger vers d'autres horizons spirituels et travailler sur des axes extrêmement complexes tels l'illusion, l'acceptation, le renoncement, le détachement mais, malgré tout ce travail de fond, sincère qui plus est, le mari de Virginie est toujours aussi violent et les nouvelles médicales récentes de Francis ne sont pas rassurantes pour lui. Tous les deux vont toutefois continuer à prier et se dire qu'il y a pire drame que le leur... Peut-être faudrait-il qu'ils réfléchissent au " mal " ?
Comme ils sont honnêtes avec eux-mêmes ils vont se pencher sur le mal qu'ils ont fait, eux, à leurs proches :
. Virginie a trompé son mari (" un moment d'égarement " lié à sa profonde détresse) mais il est devenu violent dès qu'elle a été enceinte.
. Francis a beaucoup fait la fête mais pas plus que son meilleur copain qui est en pleine santé...
C'est ainsi l'arrivée de la question du pourquoi, et essentiellement du " Pourquoi moi ? "... Suivie d'une autre question : " Mais pourquoi ça ne cède pas ? "... Aucune réponse qui se tienne ne pointe le bout de son nez. Et comme " les voies du Seigneur sont impénétrables ", il faut se résoudre à ouvrir les yeux sur l'extérieur :
. Sainte-Rita, la Sainte des cas désespérés, se dit Virginie, a supporté bien pire que moi.
. Et si j'étais né avec un bras en moins, pense Francis, il aurait bien fallu que je fasse avec.
Faire avec... Tout est logé dans cette formulation. La grande erreur de l'être humain, lorsqu'il souffre, est de vouloir faire " sans " :
. Claudine a toujours été en désaccord grave avec son père, ce qui l'a conduite à suivre une Psychanalyse chrétienne. Lors d'une séance, elle a avoué à son thérapeute qu'elle avait souhaité plus d'une fois la mort de son géniteur qui était devenu alcoolique et invivable à la suite de son veuvage précoce. À la fin de la vie de cet homme et étant fille unique, elle l'a pris chez elle. Il ne pouvait plus ni s'assumer, ni assumer le coût d'une Maison de retraite. L'entente n'a pas toujours été idyllique mais alors qu'il avait un caractère très agressif, il a beaucoup pris sur lui. Claudine s'en est occupée au début par devoir et elle a ressenti progressivement de l'amour pour lui... Il s'est éteint finalement paisiblement dans son lit. Elle se décrit maintenant en paix et considère qu'en s'occupant de ce père difficile chez elle, c'est à elle qu'elle a fait un cadeau !
Cette histoire restitue bien l'importance de ne pas fuir ce qui nous est donné à vivre, aussi déplaisant, détestable ou anxiogène que puisse être l'évènement à traverser et sa durée. Il est impératif d'accueillir nos inquiétudes, nos angoisses, nos peurs, comme nous le ferions pour un parent aimé ou un ami très cher car éviter la difficulté la renforce et nous la retrouvons un jour ou l'autre sur notre chemin, mais décuplée.
Le seul mal dont nous devrions demander à être délivré c'est celui qui consiste à vouloir supprimer de notre paysage personnel ce qui nous fait horreur. Cette sagesse ne s'apparente que de très loin à de l'acceptation. Elle permet de considérer que tant que nous cherchons à balayer ce qui nous gêne, nous ne pouvons pas agir. Ce qui revient à nous empêcher d'exister. La pire des condamnations.