Mon filleul de 12 ans bégaie de plus en plus

Portrait de Vincent

J'ai vu mon filleul ce week-end. Il vient d'avoir 12 ans. Ses bégaiements, qui donnaient l'impression d'hésitations il y a quelques mois encore, s'accentuent.

Je n'ose pas en parler avec ses parents qui, tout au moins avec moi, n'abordent pas le sujet et font comme si de rien n'était... Aussi, je me demande si je ne pourrais pas aider ce jeune car je vois bien qu'il peine à communiquer et je sens qu'il a honte de ne pas pouvoir s'exprimer normalement. Je souffre pour lui. En plus, il va entrer rapidement dans un âge difficile et je crains qu'il en développe des complexes...

Pouvez-vous me conseiller ?

Merci.

Vincent

Portrait de Michèle

Je précise que je n'ai aucune compétence en psy, mais comme je sais qu'ils interviennent quand leur agenda le permette et pour ne pas vous laisser sans réponse, je me permets de donner mon point de vue de néophyte

Déjà, je pense qu'il est difficile d'en parler à ses parents et vous avez raison de ne pas oser. Cela m'est arrivé, pour un autre souci, quant à ma nièce. Ses parents ne m'en parlait pas non plus. Comme cela me faisiat de la peine de la voir pas bien du tout, j'ai essayé de rentrer en contact avec elle, sous un prétexte anodin, une visite chez ma soeur. Nous avons un peu parlé de choses et d'autres mais je lui ai fait sentir qu'elle pouvait me contacter si elle avait besoin. Elle ne l'a pas fait mais je sais que cette simple proposition lui a fait du bien... et à ses parents aussi. Je crois qu'il faut rester très subtil quant au bégaiement de votre neveu et ne pas en faire aussi une obsession. Assurez-le de votre affection, mais sans plus. Parfois, une simple présence empathique et sans jugement peut faire beaucoup. Mais je laisse quand même les spécialistes vous en dire un peu plus. D'autant que cela peut me servir aussi et rectifier le tir quant à ma nièce, même si ce n'est pas le même problème.

Portrait de Sofia M

Quand un bègue veut bien se livrer, il explique que les mots qui arrivent au conscient se bousculent les uns entre les autres et que, par voie de conséquence, il les retient.

La psychanalyse explique de son côté que les bégaiements peuvent venir d'une éducation psychorigide où le jeune enfant n'avait pas aisément droit à la parole. Ou, quand il s'exprimait, une castration tombait sur ses propos : " Tu vois bien que tu dis des bêtises !", pouvait-il s'entendre dire de façon récurrente. Sans compter que le verbe Voir est complètement inapproprié ici... Une angoisse a peu à peu envahi la sphère orale, les paroles allant jusqu'à devenir " sales " pour l'inconscient... L'interdit de s'exprimer prend ainsi sa place, tandis que l'inconscient pousse à parler car l'être humain est un être de relation et de langage... Le processus se complique de plus en plus dans la mesure où le complexe initial lié à une castration illogique et précoce quant au développement psychologique de l'enfant finit par entraîner des complexes... Un secret de famille peut aussi être à l'origine des bégaiements et seule une prise en charge psychologique peut permettre le déblocage de la situation... Encore que si secret de famille il y a à la base, les échecs sont légion.

Ainsi, lorsque vous voyez votre filleul, invitez-le à s'exprimer le plus possible mais restez naturel. Les mots butent, ce n'est pas grave. Il y a toutefois des précautions à prendre : devant un bègue, il ne faut par exemple jamais se moquer de fautes de français commises par un tiers, ni d'un accent régional, ni de la mode du verlan... Etc. 

Quant aux parents, s'ils ne vous parlent pas du problème de bégaiements de leur fils, n'y faites pas allusion car leur " mutisme " traduit chez eux un symptôme dans la sphère orale. Aussi, pardonnez-moi l'expression mais vous n'êtes " que " le parrain dont le rôle consiste éventuellement à prendre le relais parental en cas de disparition des géniteurs... Ce qui n'est bien entendu ni souhaitable ni le cas en ce qui concerne cette histoire. Un parrain a donc des limites qu'il se doit de respecter...

Portrait de Michèle

Bien sûr, il y a des termes spécifiques dans votre post, chère Sofia M., mais je pense avoir compris l'essentiel. Et puis les conseils de ne pas se moquer des fautes comises par un tiers, etc sont précieux. J'ai connu par le passé un bègue et c'est vrau qu'on est toujours mal à l'aise, ne sachant trop comment se comporter. Vous me donnez des élément sur cet ami, qui avait décidé de vivre chez sa grand-mère plutôt que chez ses parents et qui ne m'a jamais parlé de son père. Je pense qu'il doit y avoir un lien. Toujours est-il que vos outils de compréhension sont précieux. J'avais déjà apprécié vos connaissances avant que de m'inscrire sur ce site. Je suis heureuse de pouvoir vous le verbaliser aujourd'hui.

Portrait de Orlan

Du côté de ma femme, il y a un neveu bègue. Les parents sont des cathos intégristes (4 garçons et 3 filles tout de même et ils n'arrêteront, disent-ils, la procréation que lorsque le Seigneur le décidera...) et je comprends mieux maintenant avec les explications de Sofia la pathologie de ce garçon. Nous ne le voyons que très rarement mais cet été, nous avons vu cette partie de la famille par alliance chez des cousins et nous avons pu constater que les bégaiements s'étaient aggravés (cet ado a 15 ans). Le couple parental se veut la famille idéale et je pense que les deux époux sont loin de se douter de leur part de responsabilité dans la souffrance de leur fiston... Une forme d'acceptation apparente discutable qui sent le déni...

Portrait de Lilou.G

En même temps, pourquoi s'est tombé sur lui ? That is the question...

Portrait de Orlan

Un brin caustique Lilou ??? 

N'ayant fait qu'un peu d'Analyse transactionnelle, ma réponse vous paraîtra certainement un peu simpliste mais j'assumerai ! 

Je pense que cet ado est particulièrement sensible...

Portrait de Lilou.G

Certes un peu épidermique mais que voulez-vous, c'est la rentrée !

Ceci dit, votre réponse me convient parfaitement et je la trouve très sensée...

Portrait de yamina.174

J'ai connu il y a une quinzaine d'années un ado bègue. Il avait commencé une psychanalyse qui, en fait, n'avait pas donné de résultats suffisants puisqu'il l'avait arrêtée rapidement mais il ne la faisait pas par désir. Ses parents l'avaient poussé à suivre cette thérapie. Curieusement, j'avais senti qu'il masquait ce complexe lié à ses bégaiements par une espèce de mégalomanie. Il était dans une toute-puissance qui lui faisait fantasmer une carrière professionnelle scientifique exceptionnelle alors qu'il était en échec scolaire total... Cette fonction compensatoire a certainement aggravé sa souffrance mais, n'ayant plus eu de ses nouvelles depuis fort longtemps maintenant, je ne sais pas s'il est parvenu à sublimer ce qui était chez lui un très lourd handicap apparent. Ceci dit, pour y arriver il aurait fallu qu'il rentre dans la réalité et il n'était pas parti pour ça...

Portrait de Allain

Vous avez raison Chère Yamina de rappeler que les conduites d'évitement sont des facteurs d'aggravation épouvantables de tout symptôme...

Portrait de clémentine-78

En même temps, quand on souffre d'un complexe, on cherche à le masquer comme on peut. C'est humain !

Portrait de Allain

Je n'ai jamais voulu dire le contraire!

C'est juste un constat psy.

Portrait de Ludo_437

Dans le cas que cite Yamina, je pense qu'il faut entendre la fonction compensatoire dont elle parle comme un élan fantasmatique qui permet inconsciemment de tenir à distance les conséquences négatives du complexe car le sujet bègue sait quand même très bien qu'il est bègue !

Portrait de Orlan

Oui, personnellement j'ai compris les choses comme ça. Ce réflexe se met en place par une sorte de phobie de soi-même. 

Portrait de yamina.174

Bien vu Orlan ! Les phobies entraînent effectivement des mécanisme dits d'évitement !

Portrait de Orlan

Un compliment pareil venant de votre part me fait chaud au cœur... Et me rassure quant aux reliquats de connaissances que je garde de mes cours d'Analyse transactionnelle...

Portrait de Charles

Excusez-moi d'intervenir peut-être en décalé. Mais comme il y a des psys, est-ce qu'ils pourraient m'expliquer comment comprendre le fait qu'un bègue puisse chanter. J'en ai connu un qui chantait très bien et sans bégayer bien sûr ! Mais peut-être qu'il était une exception qui confirme la règle ?

Portrait de Gilbert

Je ne suis pas psy, Charles, mais peut-être fantasme-t-il en chantant qu'il est quelqu'un d'autre... Une fonction compensatoire ????

Portrait de Charles

Difficile à suivre la discussion sur le fonction compensatoire, mais je m'accroche, si je puis dire. En fait, ce chanteur a toujours rêvé être en haut de l'affiche mais n'y est jamais parvenu. De plus, ça colle car il a toujours interprêté les chansons des autres, et notamment de notre Johnny national. Sinon, il chantait surtout en anglais phonétique mais ne comprenait pas ce qu'il chantait !!!! Donc, un certain déni de la réalité peut-être ?

Portrait de yamina.174

En fait, ce que vous soulevez s'explique par ce que la psychanalyse appelle l'étayage. L'étayage est à entendre comme un appui (psychologique bien entendu). En s'étayant sur des paroles, un processus de sécurité se met en place, a fortiori si les paroles ne sont pas du chanteur lui-même, ce qui tord le cou à l'angoisse de castration. C'est comme si l'inconscient vivait par procuration, ce qui correspond au phénomène identificatoire ! Ce qui d'ailleurs est également à assimiler à un évitement. On retrouve ce mécanisme chez certains acteurs comme Vincent Lindon qui bégaie dans la vie mais qui parvient à ne rien laisser transparaître au cinéma...

Portrait de Luce Psy

Compte tenu de mon cabinet de psychanalyste qui fonctionne très bien, je pensais avoir de jolies connaissances mais, là, Yamina'174, vous me laissez sans "voix"! Jamais je n'aurais été capable de faire une réponse professionnelle telle mais il est vrai que je ne suis pas didacticienne.

Je m'empresse de noter votre apport qui pourra toujours me servir bien que je n'ai jamais été (encore) consultée par un bègue.

Merci.

Luce

Portrait de yamina.174

Merci surtout à vous Luce pour la confiance que vous voulez bien m'accorder...

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Yamina 174 a déjà fait de magnifiques interprétations dans lesquelles j'ai eu l'agréable sensation de continuer ma formation didactique, comme une supervision offerte. Et c'est un immense cadeau qu'elle nous fait. Je me joins à vous pour la remercier, d'autant que je n'ai pas eu également ce type de symptôme dans ma pratique.

Portrait de Charles

Pour le coup, ça colle tout à fait puisqu'il avait toujours besoin de quelqu'un sur qui s'étayer... Des musiciens qu'ils n'éhésitait pas à " virer " s'ils ne lui étaient plus utiles... Merci Yamina, vous m'éclairez. C'est super ce site !

PS : je reviens pour préciser aussi qu'il usait beaucoup de la séduction. Je pense que ça doit aller avec. Encore merci pour vos explications.

Portrait de Vincent

Tournure intéressante de la discussion qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses...

Pour mon filleul et ses parents c'est OK.

Merci pour vos commentaires toujours aussi sérieux et auxquels on peut faire confiance...

À+

Vincent