Raconter un secret de famille à ses enfants ?

Portrait de yamina.174

J'ai lu tous les témoignages sur l'alcoolisme qui m'ont beaucoup appris entres autres sur la psychologie de l'alcoolique et sur la toile d'araignée dans laquelle est prise sa famille.

Dans toutes les familles il y a des drames comme les addictions. Tout le monde le sait mais on n'en parle pas. Toute petite j'ai compris qu'il y avait des choses que je savais mais dont il ne fallait pas que je parle, même avec mes petits cousins.

Je crois que Françoise Dolto conseillait de tout raconter à ses enfants pour leur bien et pour qu'ils n'aient pas la même pathologie que celle de la famille, comme l'alcool par exemple, ou la prison ou les avortements.... Je n'ai jamais trop compris pourquoi mais je trouve qu'il y a des événements ou des comportements bien difficiles à raconter. Je me dis aussi que c'est une sorte de trahison vis-à-vis de la personne malade, ou qui a eu des problèmes avec la police, ou qui pouvait battre sa femme, ou qui pouvait avoir été tuée dans un règlement de comptes, ou qui a collaboré avec l'ennemi en temps de guerre, ou une femme qui avait couché avec un Allemand et qui avait été tondue à la fin de la guerre en place publique (j'ai vu un documentaire atroce là-dessus), parce qu'elle n'est jamais là pour donner sa version des faits, de l'origine de son malheur ou de sa souffrance. Je ressens ça comme de la délation.

Est-ce que je me trompe ?

Portrait de Cécile. G.. Psychanalyste

Bonjour Yamina,

Le non-dit est la racine de l'auto-destruction, c'est à dire que c'est parce qu'il y a des choses "tues" dans les familles que l'on développe des processus autodestructeurs. En parler permet de libérer la famille d'une éventuelle réparation ou compulsion.

Raconter mais ne pas juger : pensez toujours à inscrire l'histoire d'une personne dans son contexte social, culutrel et  historique. Chacun fait ce qu'il peut avec ce qu'il a...  

Portrait de Claire M. Psychanalyste

Bonjour Yamina,

Votre question m’interpelle car pour ma part, je me la suis souvent posée. Je rejoins l’avis de Cécile et pense aussi que l’on peut parler de tout en famille si l'on respecte la personne concernée par la problématique dans la filiation : c'est-à-dire sans la juger, en prenant en compte sa situation propre et son époque .

Je pense aussi que si l’on peut tout raconter à un enfant, il faut veiller à le respecter, c'est-à-dire à prendre en compte son âge et les mots qu’il peut comprendre.

Mais pour autant, parler de ce qui nous gêne personnellement avec nos enfants ne nous libère pas forcément de nos angoisses et peut même favoriser la transmission de ces angoisses.

En ce qui me concerne, je suis d’avis que tout n’a pas forcément besoin d’être dit si vous ne sentez pas que ça pose problème à un enfant. De plus, le « non-dit » ne signifie pas seulement que quelque chose est « tu » mais aussi que ce quelque chose est tu parce que cela est source d’incompréhension et donc d’angoisse pour la personne qui se tait : vous citez vous-même l’exemple d’événements ou comportements difficiles à raconter, donc à mettre en mots. Si vous vous efforcez de comprendre ce qui vous gêne dans cette problématique, vous pourrez peut-être vous libérer de cette impression de trahir cette personne et ne plus vous en sentir coupable. Souvent, c’est suffisant pour ne plus transmettre l’angoisse associée à cette problématique qui devient alors simplement un « fait de l’histoire de la famille » et qui ne nous appartient plus.

Alors, le moment venu, s’il est question de cette problématique de manière plus ou moins indirecte face à ses enfants (par exemple l’alcoolisme, l’inceste, l’addiction la trahison, etc. ),on se positionne différemment dans la discussion, dans les actes, dans ses réponses à leurs questions car on n'est plus affecté pas cela. Par la même occasion, on ne transmet plus d’affects associés à ces problématiques à ses enfants.

Cela permet alors aux enfants de ne plus « aller là ou ça fait mal » pour obtenir des explications.

J’espère que j’aurais pu vous apporter des éléments de réponse Yamina.

Portrait de yamina.174

Vos appréciations me semblent complémentaires mais j'ai le sentiment que Claire induit pratiquement le fait que si un enfant ne demande rien, il est peut-être inutile de lui raconter la vie désordonnée ou déboussolée de son aïeul(e)... J'aime bien cette idée que je trouve respectueuse...

Portrait de Isabelle

Sortir du non-dit oui, mais je rejoins Claire... Celà ne justifie pas effectivement de tout dire, n'importe comment et n'importe quand. Là on est sur du "mauvais Dolto" récupéré et mal compris. Ayant vécu moi-même une trahison de la part du père de mon fils, je me suis "torturée" sur le comment je pourrais verbaliser à mon fils, le fait qu'il avait un demi-frère paternel, de 5 mois de moins que lui. C'est mon fils en définitive, lorsqu'il avait environ 6 ans, qui un jour m'a posé directement la question sur cette différence d'âge "anormale". Celà m'a permis de verbaliser un certain positionnement de son père, sans jugement et par là même d'expliquer la rupture du couple parental... Je crois qu'effectivement d'une certaine façon, sur ce qu'il est possible de verbaliser sans abîmer, nous avons bien souvent les signaux indicateurs du temps adéquat... Lorsque les non-dits sont invalidants, il s'agit d'un travail sur soi beaucoup plus en profondeur, comme la psychanalyse par exemple...

Portrait de yamina.174

Votre exemple fait bien comprendre que l'enfant peut venir poser des questions si une situation l'embarrasse. Il est très parlant. Je préfère, encore une fois, cette " souplesse ", d'autant que les secrets de famille, ça reste énigmatique dans dire ou ne pas dire... Je pense à une famille dans laquelle le grand-père est alcoolique, la fille est alcoolique et le fils de cette fille est bien parti pour être alcoolique. Pourtant, là, ils connaissent la problématique familiale et ça n'empêche pas l'alcoolisme de continuer... C'est pour ça que moi aussi, je crois qu'il faut rester bien prudent avant de dévoiler un comportemant grave. Est-ce que ça change finalement quelque chose ? En plus Isabelle, c'est intéressant parce que vous parlez à votre tout de Françoise Dolto et je crois que son fils Carlos, le chanteur, avait un problème avec l'alcool. Je crois d'ailleurs qu'il est mort d'un cancer du foie... Tout ça ça permet de relativiser ce qu'on doit faire ou pas. De toute manière, j'ai tendance à faire comme je le sens dans la vie et avec les secrets de famille, à aujourd'hui, je ne sens pas trop le fait de les raconter dans la famille. Il y a déjà assez d'histoires comme ça, de mensonges, de déformations. D'autant que je suis issue d'une famille maghrébine et que dès qu'ils peuvent en rajouter, dans le mauvais sens, ils ne s'en privent pas...