Un acte manqué est un discours réussi ?

Bonjour Iverlaine,

Votre question renvoie tout d'abord aux travaux de Sigmund Freud quant à la mise en exergue de l'inconscient, cette instance psychique agissant souvent à notre insu bien que nous soyons parfaitement éveillé. Dans un livre particulièrement intéressant, " Psychopathologie de la vie quotidienne ", il décrit des situations que nous pouvons tous expérimenter : oubli de noms, lapsus linguae (mot dit à la place d'un autre), lapsus calami (mot écrit à la place d'un autre, voire faute d'orhographe) et bien d'autres actes manqués encore. L'originalité de cet ouvrage réside dans le fait que Sigmund Freud explicite et démontre que ces " râtés " ne sont pas le fruit du hasard et ont un sens qu'il est possible de trouver.

Quant à Jacques Lacan,sur les traces de Freud, il énonce que l' " Inconscient est structuré comme un langage ". Autrement dit, chaque fois que l'inconscient se manifeste de cette manière, il réussit à franchir la barre du refoulement. Pour Lacan, le langage se situe au niveau du conscient et le discours au niveau inconscient. D'où son assertion, un acte manqué (au niveau du conscient) est un discours réussi (au niveau de l'inconscient).

Pour vous donner un exemple, supposons que je veuille me diriger vers une destination précise et que je me trompe de route. Cet acte manqué m'indique que je n'ai pas vraiment le désir de m'y rendre. Freud évoque aussi un président d'assemblée  qui, au début d'une réunion, dit " La séance est close  " au lieu de " la séance est ouverte "...

Un acte manqué est un discours réussi dans la mesure où il nous interroge et nous dévoile. Il ne faut surtout pas le culpabiliser mais au contraire le positiver. Rater un train peut être protecteur, ou un avion. Cas extrême de discours réussi lié certes à une destinée  : il existe des témoignages de gens qui ont râté un avion, avion qui s'est écrasé ! En ce qui me concerne, c'est grâce à un lapsus calami sur la carte de visite (qui faisait sens pour moi) de mon analyste que j'ai réussi à consulter et que je suis devenu psychanalyste des années après... Je ne rentrerai pas dans des détails pour ne pas être trop long mais je suis sûr que vous pourrez trouver dans votre vécu des situations apparemment " manqués " qui ont débouché sur quelque chose de positif. En espérant vous avoir un peu éclairé, je vous souhaite un beau week-end réussi ! Je pense aussi que nos amis foromers ne manqueront pas de compléter ma brève explication, peut-être avec des exemples perso !

Gilbert R. a tout dit sur l'acte manqué en tant que discours réussi mais je peux vous apporter un exemple de mon entourage en apparence différent de par la tournure tragique des évènements mais qui, quand on l'analyse de près, ne l'est pas...

J'ai une amie qui avait une relation depuis quatre ans avec un garçon très bien... Elle lui a suggéré le mariage à plusieurs reprises et lui ne voulait pas, pas plus qu'il ne désirait avoir d'enfant... Un jour, puisque les disputes entre eux amplifiaient, ils ont décidé de rompre d'un commun accord. Mon amie ne se faisait cependant pas à cette rupture et ce d'autant moins qu'elle avait su que son ex papillonnait beaucoup depuis leur séparation... Elle en souffrait beaucoup... Trois mois après, il s'est tué en voiture... Ainsi, quand Jacques Lacan parle de " discours ", il implicite qu'il s'agit de l'inconscient qui " sait "... Dans le cas du couple que j'évoque, l'homme ne voulait sûrement pas inconsciemment laisser une veuve... Il est sûr que cette jeune femme a pu refaire sa vie sans la culpabilité du veuvage... 

Si on prend le cas de DSK, il est évident que pour les psychanalystes, il ne voulait pas être Président de la République. Pour quelle raison inconsciente ? On n'en sait rien. Et même s'il a connu les affres du scandale, peut-être y aurait-il eu quelque chose de plus grave encore pour lui s'il était parvenu au plus haut rang de la nation...

Un lycéen peut râter son bac plusieurs fois pour éviter d'aller à la fac. Pourquoi ? C'est un mystère au niveau du conscient mais peut-être a-t-il échappé au pire : un viol sur sa personne ou un meurtre, une accusation à tort, un décès dans un moyen de transport, un incendie gravissime ??? Tout ça on ne le sait pas car nous ne voyons que la partie émergée de l'iceberg... En revanche, l'un des axes de la psychanalyse - qui travaille sur le contenu refoulé et latent - permet d'inscrire l'analysant dans un maximum de prévention. 

C'est pour toutes ces raisons qu'il ne faut jamais influencer quelqu'un dans ses choix car on peut devenir, sans le vouloir consciemment, responsable d'une tragédie ultérieure... La méthode freudienne, du reste, laisse le patient libre de ses décisions, quelles qu'elles  soient  et combien même semblent-elles en inadéquation totale avec l'interprétation psychanalytique ! Cet aspect de cette profession est d'ailleurs difficile mais c'est comme un médecin qui prescrit un traitement à son malade et que ce malade ne le prend pas... Ces professions exigent - on s'en doute - un lâcher-prise permanent et énormément d'humilité...

Un sujet passionnant qui démontre que l'inconscient sait ce qu'il fait et qu'il a parfois ses raisons que la raison ne connaît pas toujours.

J'ai été très intéressé par l'exemple que donne Yamina à propos de DSK. J'ai un peu suivi l'affaire en son temps, ne comprenant absolument pas comment un homme que tout le monde attendait aux commandes de l'Etat a pu en arriver là. Pourtant ce que disent les Psychanalystes tient la route. Il y a dans cette histoire une étrange coïncidence qui peut difficilement être le fruit du hasard : le numéro de la chambre du délit était 2806. Or le 28/06 de cette année là était la date butoir, le jour où DSK devait annoncer s'il se présentait au primaires du parti socialiste en vue de l'investiture aux élections présidentielles... Certainement protecteur pour le pays, ce dérapage américain !