Ma mère a la phobie des maisons de retraite

Portrait de Lakshmi

Je voudrais vous poser une question qui me taraude pour le futur. Ma mère a 85 ans, marche difficilement avec une canne. Elle vit seule au deuxième étage d'un appartement. Moi même, je la prends de temps en temps chez moi mais cela ne durera pas éternellement, d'autant qu'il y a aussi des étages à monter. Le problème c'est que j'envisage le moment où elle ne pourra peut-être plus se déplacer. Je pense à une maison de retraite. Sa pension pourra peut-être suffire mais le hic, c'est qu'elle a une véritable phobie des maisons de retraites. Elle a très peur d'être abandonnée. Avez-vous ou avez-vous eu ce type d'expérience. Comment avez-vous géré ?

Portrait de Jean

L'approche de la maison de retraite dépend, me semble-t-il, de la psychologie de chaque personne âgée. Mais il est vrai qu'il y a cette connotation d' " hospice pour les vieux " qui peut faire lui faire penser que vous l'abandonnez en la mettant au rencard. Le mieux est d'aborder le sujet avec précaution. Ma mère aussi est relativement âgée et il faudra y penser aussi. Quitter un espace connu où elle a son autonomie lui serait douloureux aussi. Il y a, je crois, la possibilité de l'aide à domicile mais je crois que  tant qu'il n'y a pas urgence et risque pour sa santé, je ferais en sorte qu'elle reste chez elle.

Portrait de Thierry

Envisager l'avenir pour une personne âgée est forcément angoissant pour la famille comme pour la personne âgée. L'angoisse d'abandon est compréhensible à mon sens Lakshmi. Si l'on pense à votre mère de 85 ans et même sans connaître sa vie, je peux imaginer tout ce qu'elle a dû « abandonner » au cours de tous les âges de sa vie pour arriver jusqu'à ce bel âge : naissance, croissance, jeune fille puis femme et mère, déménagements, travail, statuts sociaux, décès, pertes réelles ou fantasmées …. Et aujourd'hui Lakshmi, c'est encore une nouvelle expérience d’abandon pour votre mère puisque c'est son propre corps qui semble « l'abandonner » un peu plus chaque jour. Quel chose « marche » moins bien dans la vie de votre mère et cela peut légitimement l'angoisser et lui donner ce sentiment d'abandon. La peur de l'avenir, de l'inconnu ou de souvenirs douloureux, peuvent aussi venir intensifier ce sentiment d'abandon.
Étant au contact professionnel permanent de personnes âgées et de leurs familles (je suis infirmier vacataire dans des EHPAD ou centre psy), je me permet de vous soumettre ci-dessous quelques réflexions et pistes sur le sujet qui vous préoccupe.

Le vieillissement et le « temps qui passe » amène la personne âgée et sa famille à se questionner sur sa propre finitude. Il est effectivement souhaitable d'entamer une réflexion bienveillante avec votre mère afin de comprendre quelle est sa vision d'avenir et ses perspectives. Idéalement, ce moment de partage doit se faire "en douceur" et avec toute la délicatesse et l'humanitude nécessaire afin que votre mère ne se sente pas coupable d'inquiéter ses enfants et / ou sa famille ou de devenir une « charge » pour les siens...
Je vois très souvent des familles décider dans l'urgence (suite à une chute ou une hospitalisation inattendue, par exemple), pour la personne âgée, ce qui serait le mieux "pour elle". La personne âgée étant, la plupart du temps, mise devant le fait accompli et a l'impression d'être abandonnée dans un lieu inconnu. Je ne juge pas les situations familiales mais si l'on souhaite que la personne vive au mieux cette transition vers un autre lieu de vie, je pense qu'il est préférable de l'impliquer au plus tôt dans cette réflexion.

La conversation peut aussi être initiée lors d'une visite chez le médecin de famille qui connaît souvent bien la personne, sa personnalité et ses problèmes de santé. Le questionnement (questions ouvertes), la demande d'informations sur le mode et habitudes de vie de la personne âgée par le médecin peuvent aider cette dernière à prendre conscience des limites d'un maintient à domicile.  En effet, la personnage âgée fait confiance à son médecin ou personnel soignant (infirmier, kiné…) qui les rassurent par leurs professionnalismes et la qualité relationnelle qu'ils auront pu tisser ensemble. Il n'y a pas de recettes toutes faites pour favoriser un dialogue avec la personne âgée...mais je propose de ne pas rentrer par la contrainte. Aussi, il est intéressant pour la famille et les aidants de connaître toutes les possibilités qu'offrent aujourd'hui la protection sociale française concernant la population de personnes âgées avec ou sans handicap.

Le maintien à domicile pour la personne âgée reste une piste intéressante car le service d'action gérontologique de chaque ville est organisé en ce sens. L'acteur majeur de cette prise en charge spécifique est le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) qui existe normalement dans chaque commune. Prendre des renseignements auprès de la mairie de la commune d’habitation de la personne âgée. Sa vocation d’accompagnateur social s’est renforcée depuis de nombreuses années auprès des personnes en situation de précarité sociale ou de handicap et plus particulièrement des personnes âgées pour lesquelles il a développé une offre adaptée en habitation collective (résidence foyers logements ou EHPAD) ou à domicile. Les missions du CCAS

  • Constitution et mise à jour d’un fichier des bénéficiaires de l’aide sociale qui résident dans la commune,

  • Instruction des dossiers d’aide sociale avec transmission au Conseil Général du département,

  • Réception et transmission des dossiers d’Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA),

  • Instruction des dossiers du Revenu de Solidarité Active (RSA),

  • Analyse des Besoins Sociaux (ABS).

Le deuxième acteur incontournable est le Centre Local d'Information et de Coordination (CLIC). Vous avez une question au sujet de l'aide aux personnes âgées ou handicapées, le CLIC de votre ville a été conçu pour y répondre.
Au préalable, il faudra remplir un dossier de demande d'aide sociale, avec l'aide du médecin traitant, afin d'établir un diagnostic sur les besoins de la personne. La grille nationale AGGIR (Autonomie Gérontologie Groupes Iso-Ressources) permettra d'évaluer le degré de perte d'autonomie ou le degré de dépendance physique ou psychique d'une personne âgée dans l'accomplissement de ses actes quotidiens. Elle concerne les personnes à domicile ou en établissement et sert de support pour déterminer le montant de l'APA (Allocation Personnalisée d'Autonomie) qui sera versé.

Après avoir effectué l'ensemble de ces démarches personnelles, vous pourrez envisager sereinement et établir un dialogue constructif avec la personne âgée : rester au domicile ou déménager pour aller dans un appartement mieux adapté à la personne (RDC, pas de marche haute, douche à l'italienne, intérieur adapté aux personnes à mobilité réduite : lit médicalisé, fauteuil roulant, tablette adaptable…) avec des aides quotidiennes grâce à une équipe de professionnels du Service Aide à domicile (aide ménagère, portage des repas, passage infirmier ou Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD)…), aller en foyer logement ou enfin dans un Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) qu'elle aura préalablement visitée et idéalement choisit.

Il est aussi possible de participer à des activités organisées par différentes associations afin de favoriser les liens sociaux. Cette démarche pourra permettre à votre mère de s'habituer à vivre des moments de partages dans des structures temporaires et ainsi d'envisager plus positivement l'approche d'une institutionnalisation à venir.
Par exemple, a coté de chez moi il y a une association qui organise des activités quotidiennes (bridge, scrabble, chants, loto …) auprès de personnes à mobilités réduites qui s'y rendent grâce a une ambulance ou avec le camion de l'association.

Je souhaite Lakshmi que ces informations puissent vous être utile dans votre réflexion et vous je souhaite de bons moments et de belles rencontres dans cette nouvelle étape de vie avec votre mère.

Bien cordialement.

Thierry.

Portrait de Lakshmi

Fabuleuse, votre réponse. Elle m'a fait beaucoup de bien. Je vais d'ailleurs la copier-coller et la mettre sur word. J'ai l'impression d'avoir eu un véritable rendez-vous humain et professionnel. D'autant que j'étais inquiète aujourd'hui. Elle a mal au genou depuis hier et n'a pas pu répondre positivement à l'invitation de mon frère qui désirait l'emmener à la " mer " ! Du coup elle a broyé du noir. Je l'ai appelée et essayé de lui remonter le moral en lui disant d'appeler son médecin dès demain ainsi que la pharmacienne pour qu'elle voit ce qu'elle peut faire dans l'urgence. Votre post m'est un véritable baume au coeur, Thierry. Je l'appelle demain pour voir où elle en est et je vais mettre en application vos conseils de pro, mais surtout d'humaniste. Encore un grand merci pour tout ce travail de bénévole ici. J'en ai les larmes aux yeux !

Portrait de Thierry

Merci à vous Lakshmi pour votre retour positif Wink Je suis heureux que ces informations vous soient utiles.

N'oubliez pas de penser à vous et ne culpabilisez pas. Vous n'avez pas a vous sentir en dette vis -à-vis de votre mère. Elle  vous a donné la vie et c'est un don que l'on ne peut jamais rembourser.  Aussi, vous faites ce que vous pouvez pour l'aider  mais vous ne pourrez jamais tout faire seule ... d'où l'idée de faire appel à des professionnels de santé pour vous aider dans la prise en soins de votre mère.

Prenez bien soin de vous pour pouvoir aussi prendre soin de votre mère.

Bien à vous.
Thierry

Portrait de Lakshmi

Ce matin, j'ai appelé son médecin de famille en qui elle a confiance... Du coup ma mère a un peu plus le moral qu'hier. Vous avez raison, Thierry. Si c'est un don, on n'a rien à rembourser... Simplement à honorer ce don du mieux que l'on peut, c'est-à-dire en commençant par prendre soin de nous...

A bientôt et merci encore

Lakshmi