Le Moi-peau

Portrait de Danièle-Dax

J'ai eu un zona il y a plusieurs mois et qui, bien que rentré dans l'ordre globalement, peut encore me gêner. C'est ce qui m'a fait effectuer des recherches sur le derme et l'épiderme sur Internet, en me disant que j'arriverais peut-être comme ça à trouver des explications qui pourraient m'amener à comprendre pourquoi ce zona ne veut pas se régler complètement. J'ai découvert alors une citation d'un psychanalyste, Monsieur Didier Anzieu. Je vous la donne : " La peau est la limite extrême du Moi ". En gros, il me semble que j'ai compris ce qu'il a voulu transmettre mais je reste sur ma faim. Est-ce que vous pourriez m'expliquer les propos de cet auteur, ainsi que leurs tenants et leurs aboutissants car je suppose que cette affirmation doit présenter un intérêt pour le commun des mortels dont je fais partie ?

Portrait de Pauline

C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup moi aussi. En raison de mon état de santé, je prends un nombre conséquent de médicaments, et depuis plusieurs années, notamment en raison d'un coeur très fatigué... Il se trouve que depuis 2 ans maintenant, certains de ces médicaments provoquent des réactions cutanées incontrôlables et fort désagréables ! Démangeaisons à m'en arracher la peau au sens véritable du terme. Pour l'instant, et après différentes solutions proposées par mon médecin habituel, il n'y a pas de véritables améliorations, si ce n'est sur un temps ponctuel, et puis les démangeaisons reviennent... J'ai un peu "copié" Danièle-Dax, en faisant moi aussi des recherches sur Internet et j'ai lu moi aussi des informations sur ce "concept" (excusez-moi, je ne sais pas trop comment l'exprimer...) de ce Monsieur Anzieu. Bien que celà me semble très technique, il me semble que j'ai un petit peu compris que la peau est comme une "mémoire première" y compris avec les soins maternels, mais même avant, dans le ventre maternel ?

En parallèle, je voudrais préciser, parce que je "sens" que c'est important... ma fille aînée, pour Noël, m'a fait cadeau d'un lait corporel extrêmement hydratant (à l'aloe vera biologique)... Qui pour l'instant me soulage très efficacement ! Et la nuit dernière, j'ai fait un rêve où je me trouvais assise près de ma fille justement, et j'appuyais ma tête sur son épaule... En même temps, elle me caressait doucement et longuement le bras qui était près d'elle... J'en ressentais un grand bonheur, comme un état de plénitude... J'aimerai bien me réveiller tous les matins dans d'aussi agréables dispositions pour la journée !

Merci par avance pour plus d'explications ! Pauline

Portrait de Jean

Je ne suis pas psy mais cette affirmation d'Anzieu me fait réfléchir. Lorsqu'il dit que c'est la limite extrême du Moi, cela ne veut-il pas dire qu'après cette limite commence l'extériorité, c'est à dire ce qui peut effrayer un enfant par exemple, ou au contraire le rassurer, comme l'explique le rêve de Pauline ? La peau correspond aussi au sens du toucher. Je ne sais pas dans quel ordre les sens se mettent en place chez le nouveau né, mais ça doit être important. En plus, le terme " zona ", linguistiquement me renvoie à " zone ". Dans certains courants psy, on parle de la nécessité de quitter une certaine " zone de confort " pour évoluer. Peut-être que des psys auront le temps de venir nous éclairer sur cette question. Ne serait-ce que pour avoir quelques clés pour essayer d'être encore mieux dans sa peau... Merci !

Portrait de Cécile. G.. Psychanalyste

La peau est l'enveloppe qui délimite notre réalité corporelle, point de rencontre entre notre intériorité et l'extériorité. Didier Anzieu a parlé de "Moi-peau"comme d'une limite psychique assurant les mêmes fonctions . Il fait le lien entre les fontions biologiques de la peau et les fonctions psychiques du Moi-peau : 

1 - Le sac : une fonction d'enveloppe contenante et unifiante.

2 - L'écran : une fonction de barrière protectrice du psychisme 

3 - Le tamis : Une fonction de filtre des échanges et d'inscription des premières traces, fonction qui rend possible la représentation

4 - Fonction de miroir de réalité

Le Moi-peau va être la représentation psychique de cette limite qu'est la peau comme un contenant rassurant ou pas, souple ou rigide, suffisamment protecteur ou étouffant.

Le Moi-peau se constitue avec le "holding" terme de Donald Winnicott, c'est à dire la façon dont la mère soutient le corps du bébé et le "handling", qui sont les soins corporels apportés par la mère, l'énergie des jeux entre le corps de la mère et le corps de l'enfant, des réponses apportées par la mère aux sensations et aux émotions du bébé, réponses gestuelles et vocales.                                                                                               Si il y a carence dans la fonction du conteneur (Ecorce + noyau), soit c'est un noyau sans écorce et l'individu cherche une écorce substitutive dans la douleur physique ou l'angoisse psychique : il s'enveloppe dans la souffrance. Soit, il y a discontinuité, Moi-peau passoire, les pensées, souvenirs sont difficiles à conserver, ils fuient, c'est l'angoisse d'un intéreur vide qui se vide tout particulièrement de l'agressivité nécessaire à toute affirmation de soi (trous psychiques comme les pores de la peau, transpiration excessive et nauséabonde).

Il met en lien la couche superficielle de l'épiderme qui protège la couche sensible de celui-ci avec cette structure virtuelle présente dès la naissance et qui s'actualise au cours de la relation entre le nourrisson et l'envirronnement primaire : la fonction de pare-excitation (Processus de protection que l'enfant à vécu dans le ventre de la mère). Le déficit de pare-excitation qu'il appelle le Moi-poulpe, aucune des fonctions du Moi-peau n'est acquise (support, contenant, pare-excitation) et l'excès de pare-excitation, le Moi-crustacé, carapace rigide qui remplace le conteneur absent et qui interdit aux fonctions du Moi-peau de se déclencher.

Le toucher est donc ce qui va permettre la constitution de ce Moi-peau, sa représentation psychique et toutes marques à la surface du corps et du Moi est l'expression d'angoisses liées à l'histoire ce chacun, quant à ses "limites" psychiques.

 

Portrait de Danièle-Dax

Je suis impressionnée par le côté pointu de votre réponse mais j'avoue que je suis loin d'avoir tout compris... N'ayant jamais fait d'études de psycho, je suis un peu perdue...

Auriez vous une explication plus accessible  ?

Portrait de Juliette

Je suis contente de voir qu'il n'y a pas que moi qui n'ai pas très bien compris !

Portrait de Sofia M

Comme Cécile G. a vraiment assuré sur le plan de la théorie et que vous avez le désir d'une explication plus accessible, je vais essayer de simplifier au maximum, tout en prenant en compte votre zona...

Un zona est un symptôme qui choisit un endroit du corps précis pour signaler un conflit inconscient. La peau semble brûler, ce qui signifie que le psychisme bout... Autrement dit, il ne s'autorise pas à libérer une contrariété, une incompréhension, qui - ne pouvant être mise en mots sous forme de reproches adressés à l'interlocuteur - se transforme en maux. C'est le scénario classique pour toute pathologie d'ailleurs. Ainsi, lorsque Didier Anzieu parle de la peau comme étant la limite extrême du Moi, il invite à une forme de lâcher prise dans la mesure où nous ne pouvons pas dire tout ce que nous voudrions à certains proches qui ne pourraient pas l'entendre. C'est une réalité. Sans oublier que si ce qui vous déplaît concerne une personne majeure, dont vous n'êtes pas responsable aux yeux de la loi, vous n'avez pas d'autre possibilité que celle de vous taire, en sachant de surcroît qu'il faut toujours avoir à l'esprit que nous n'avons aucun moyen de changer un individu quel qu'il soit... En outre, si vous avez attendu longtemps que cette personne améliore ses comportements vis-à-vis de vous, vous avez renforcé ses mécanismes de défenses et elle a pu aller jusqu'à aggraver les traits de caractère qui vous gênent chez elle. Didier Anzieu propose ainsi avec beaucoup d'élégance une recentration sur soi pour ne pas vivre de mise en échec. Il suggère ici de ne surtout pas utiliser les processus de projection, qui sont faits de jugements, car le chemin existentiel de l'autre non seulement ne nous appartient pas mais a sa raison d'être.

Pour résumer, si quelqu'un vous dérange par ses attitudes, s'il vous inquiète, s'il vous donne l'impression de dépasser les limites, recentrez-vous immédiatement sur vous. Un prof de Psycho nous avait expliqué comment avec un moyen simple et que j'utilise depuis : quand une personne vous contrarie, repensez à un moment de votre vie où vous avez pu avoir une forte fièvre ou être hospitalisée pour quelque chose de sérieux... Dans ces cas-là, vous savez très bien que le monde pourrait s'arrêter de tourner, on s'en ficherait ou on ne s'en rendrait même pas compte ! Ce qui prouve bien que nous ne sommes pas indispensables... Je vous assure que si vous adoptez ce réflexe, votre zona et ses réminiscences s'envolera... Pour ma part, quand un proche cherche à me déstabiliser, je repense tout de suite à une époque de ma vie où j'ai eu une grippe abominable... Je n'arrivais même plus à me lever. Moi pourtant si consciencieuse dans mon travail, je me disais que mes collègues pouvaient faire n'importe quoi, je n'avais rien à en fiche... Eh bien, pour ne pas dépasser mes propres limites corporelles et psychologiques, avec cette astuce je suis sûre de rester dans mon Moi-peau et de ne pas prendre le risque d'aller dans la sphère de l'autre et me laisser anéantir...

Portrait de Cécile. G.. Psychanalyste

Merci Sofia d'avoir  rendu la théorie accessible et de l'avoir mise en lien avec le zona, chose que j'avais omise alors que c'était la demande de Danielle. Vous nous rappellez aussi que la psychanalyse n'a de sens que lorsqu'elle est appliquée.

Portrait de Georgette

Tous ces commentaires me font penser à une réflexion populaire face à un évènement ou un individu difficile : " ça (ou )il me donne des boutons ". Y a t-il un lien ? N'y a t-il pas souvent dans la mémoire collective réponse à nos questions?

Portrait de Sofia M

Tout à fait Georgette. C'est ce que j'ai essayé d'expliquer dans mon post précédent.

Si dans la mémoire collective, il y a bien effectivement réponse à nos questions, le symptôme à lui tout seul est une réponse. Sigmund Freud disait d'ailleurs que tout symptôme est l'extériorisation d'un conflit interne. En revanche, pour ne pas tomber dans le piège de l'analyse sauvage, pour trouver la racine symptômatique, il est indispensable de passer par une exégèse linguistique pointue que seules la méthode et la méthodologie psychanalytiques peuvent libérer. Mais au niveau du principe de base, vous avez complètement raison. Ainsi, lorsque nous avons la grippe, nous savons qu'il y a quelque chose de grippé dans l'inconscient. Toutefois, pour trouver ce qui grippe, l'écoute du psychanalyste est indispensable, écoute qui permet de renvoyer le transfert convenablement pour défaire le nœud borroméen, comme le disait Jacques Lacan. En ce qui concerne une personne qui a été suffisamment psychanalysée, elle est capable de faire son auto-analyse, si elle en a le désir bien entendu, en sachant cependant que ce n'est jamais aisé sans l'aide du tiers séparateur que constitue la posture langagière du thérapeute qui fait loi en interprétant la singularité du discours de l'analysant pour le débarrasser de ce qui ne lui appartient pas ou plus dans son histoire familiale... Passionnant mais ô combien complexe (c'est le cas de le dire !)...