Les talons hauts font leur cinéma...

Portrait de Fanchon Picaud

Quand je vois de superbes créatures juchées sur des escarpins qui n'en finissent plus de les grandir, je souffre pour elles et avec elles ! La démarche cherche à rester élégante mais n'y parvient pas toujours et, s'il s'agit de hâter le pas, les déformations du corps apparaissent sur-le-champ... Pendant ce temps, ces messieurs sont dans des chaussures hyper confortables, voire même en baskets pour travailler, ce qui semblerait d'ailleurs actuellement le nec plus ultra ! Ceci étant, une question me turlupine régulièrement : mais pourquoi la gent féminine se torture-t-elle pour séduire ?

À travers les âges, les modes - concernant le sexe dit faible - ont imposé leurs diktats, véhiculés par quelques prêtresses dominatrices, faisant inconsciemment ou pas le jeu de la phallocratie. De Cléopâtre la nantie, pouvant se délasser dans des bains de lait d'ânesse, en passant par Sissi l'Impératrice d'Autriche coiffée chaque jour par des mains expertes pendant quatre heures (!), Coco Chanel s'est affirmée certes en décorsetant les bustes mais en incitant aussi à couper des chevelures de rêve, obligeant dès lors à fréquenter les salons de coiffure, même si les moyens financiers étaient minces... Toutefois, de la sandale égyptienne à la bottine, nos Perrette pouvaient encore aller à grands pas ou, au pire, trottiner... Brigitte Bardot, en 1956, ne s'en est (presque) pas laissée conter : ayant fait beaucoup de danse classique, elle demande à Rose Repetto de lui créer une ballerine mince, légère mais... sexy ! Le modèle " Cendrillon " éclate en rouge carmin dans " Et Dieu créa la femme ". Ce chausson " cousu retourné " permet des rocks endiablés mais notre BB nationale ne trouve rien de mieux que de coller sous ses jupes cerceau ou jupon empesé, et les demoiselles de l'époque d'en faire autant !

On le constate, la quête de la liberté est systématiquement stoppée net par des freins liés à quelques reliquats ancestraux... Ainsi, du côté des escarpins, tout le monde n'ayant pas les moyens de s'offrir des Louboutin, le problème reste entier ! De toute façon, la hauteur excessive du talon martyrise la colonne vertébrale... mais pas que...

Michel Audiard, dans un de ses dialogues malicieux dont lui seul avait le secret, laisse émerger de la bouche d'un acteur, au détour du film " Carambolages " : " Je me suis marié parce que ça donnait le droit à un costume pur laine et des chaussures en cuir. Voilà où ça mène l'élégance. "... Une interrogation un peu décalée peut s'inscrire dans cette ambiguïté langagière sous-jacente, chargée de sens : pour quelles raisons les lianes du XXIème siècle ont-elles besoin de donner l'impression qu'elles ont glissé un caillou dans chacune de leur chaussure ?

Christian Louboutin conseillait à ses clientes potentielles, en 2010 et en professionnel averti : " Pour vous sentir femme, portez des talons ; pour vous sentir déesse, portez 12 cm " !

Tout d'abord, quand on mesure 1 m 55, les échasses offrent la silhouette de l'astucieuse Minnie de Walt Disney qui, sortie du cadre du dessin animé, n'est pas du meilleur effet... Mais, surtout, le Stiletto n'est glamour qu'en apparence ! Ce modèle, qui continue sa conquête tous azimuts, abrite le terme italien " stilo " qui signifie... " petit couteau ", autrement dit " poignard "... Son talon hypra fin, s'il se veut le must de la féminité, en devient implicitement castrateur. Ces messieurs, appréciant certainement son style envoûtant l'espace d'une soirée ensorcelante, se méfieront assurément de la collègue de travail Wonder Woman qui aura appris à marcher avec ces attributs tendance car, effectivement, il faut apprendre à se déplacer avec, à descendre les escaliers et à arpenter les couloirs sourire forcé, mais de circonstance, aux lèvres ! Cependant, les heures s'égrenant comme de tristes rappels des pieds qui se boudinent, la Diane chasseresse, l'associée aux dents longues, va faire grise mine, évitant à tout prix de se lever de son siège, ne désirant plus qu'un seul privilège : marcher pieds nus ou, si elle y arrive encore, se glisser dans des chaussons douillets, sur lesquels un Tintin incrusté, et complètement incongru à cet instant, lui rappelle que pour être efficace, il faut être soi...

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