Non aux regrets !

Portrait de Chantal Calatayud

Marie, en voyant ses insupportables jumeaux diagnostiqués hyperactifs, se dit et dit que si c'était à refaire, elle ne les élèverait plus de la même façon... Michel, atteint d'un cancer du côlon, assure qu'il a trop travaillé et que si c'était à refaire, il se reposerait davantage. Arnaud, après son divorce qui lui a coûté très cher, répète que si c'était à refaire, il ne se serait pas marié. Louise, dont le fils unique s'est tué en voiture, jure que si c'était à refaire, elle ne lui aurait pas offert le funeste véhicule... Si c'était à refaire... mais ce n'est pas à refaire. C'est fait. Et ce n'est pas l'autodévalorisation ou la culpabilité qui changera quoi que ce soit...

Pour certains, c'était écrit mais, en les observant, leur déception, leur rancœur ou leur peine reste paradoxalement vivace, même quand l'épreuve est ancienne. Pour d'autres, ils affirment qu'ils n'avaient pas le mode d'emploi mais, en les écoutant, cette rationalisation ne les libère pas pour autant. Ainsi ces deux constats, établis a posteriori, laissent-ils émerger un sentiment profond de nullité complètement absurde. À ce propos, Émile de Girardin avait cette formule lapidaire : " L'expérience arrive trop tard pour être utile, elle survient comme les conseils importuns après l'événement, qui insultent aux regrets par leur impuissance et troublent la douleur par leur orgueil. "... Effectivement, tout être humain - s'il a l'art d'entrer avec passion et insouciance dans la comédie de son existence - ressent à l'inverse une solitude abyssale dès lors que son chemin fait surgir des tempêtes. Il redoute la défaite mais conjuguant spontanément l'avenir au passé, il ne pourra qu'éprouver cette désillusion, devenant de facto hermétique à l'instruction du présent. De toute façon, tant que nous ne parvenons pas à faire le deuil de ce qui n'est plus, la compréhension du désarroi ne peut émerger et encore moins faire sens. Autrement formulé, chaque obstacle, chaque drame abrite une valeur qui nécessite, pour y accéder, de voir la face cachée de cette " imperfection ". D'ailleurs, l'apparence, dans le moins mauvais des cas, est trompeuse, nous égarant volontiers... La clé n'est pas davantage dans la recherche du bonheur. La réponse qui fait loi n'est que l'acceptation de la construction heureusement à jamais inachevée de notre propre édifice. Par voie de conséquence, il ne faut surtout pas raisonner en terme de regrets : la sagesse nous invite à observer nos progrès, jusque dans la plus insupportable des tragédies. Authentifier que nos réactions sont plus apaisées face à l'abomination est le seul miroir narcissique qui mérite qu'on s'y attarde.

Le tremblement de terre récent au Népal a donné lieu à une large information, toutes ondes confondues. C'est dans ce contexte que j'ai entendu une touriste s'exprimer à un micro qui lui était tendu à son retour en France. Saine et sauve donc, comme son compagnon et leur fille, elle déversait cependant sa colère contre l'ambassade de France située à Katmandou et dont elle estimait qu'elle n'avait pas été à la hauteur ! Dans ce témoignage déplacé, jaillissaient autant d'aberration que d'impertinence et de sottise. Des milliers de morts, une chance inouïe pour elle et sa famille et au bout du bout la saugrenuité : une ultime résistance pathologique, de retour d'un pays auquel Bouddha a consacré temps et méditation... À la réflexion, cette réaction m'a attristée dans la mesure où voilà une personne qui a démontré qu'elle était incapable, comme le conseillait Joseph Campbell, de " trouver un endroit à l'intérieur d'elle-même où il y a de la joie et d'utiliser cette joie afin de brûler sa douleur "... Un voyage pour rien puisque synonyme d'amertume, sans retirer le moindre profit intellectuel et/ou spirituel de cet enseignement certes tout aussi imprévisible que brutal. Pourtant, le chemin si particulier de Katmandou se prépare en amont car, comme le précisait George Sand, " une bonne leçon ne peut profiter qu'à un bon esprit "... Une vérité, parmi les vérités que cet écrivain admirable assénait sans détours et avec courage, mais qui ne doit toutefois générer ni réflexe d'injustice, ni plainte. La prise de conscience de nos différences d'aptitudes devant l'innommable nous permet, in fine, de rester en éveil. Ceci étant, cette réalité ne peut nous révéler à nous-mêmes qu'à la seule condition d'avancer sans continuer à tirer sempiternellement les boulets d'épisodes révolus. La nostalgie n'est que l'expression de remords qui n'ont aucun fondement, uniquement parce que nous ne sommes pas maîtres des cycles de l'Univers, ni de ceux de notre vie.

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Commentaires

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Merci Chantal Calatayud pour ce moment de réflexion plein de bon sens existentiel.

Si nous ne sommes pas dans cette dimension par hasard, il est clair que nous n'avons pas les clés de notre destinée, cas auquel nous serions dans une position de toute puissance dévastatrice pour nous et notre environnement. La Psychanalyse interroge et fait, à mon sens, avancer vers une acceptation qui n'a rien à voir avec un fatalisme dénué d'espérance. La clé, in fine, se trouve peut-être dans cette humilité qui fait confiance quoiqu'il arrive. Pas facile certes, mais enthousiasmant pour qui désire...