On parle beaucoup depuis quelques années du profil pervers narcissique dans la sphère sentimentale. Or, cette perversion existe aussi dans le domaine professionnel, cette pathologie se montrant redoutable pour l'entourage quel qu'il soit. Le pervers narcissique choisit sa proie en fonction de ses pulsions destructrices dans le registre où il peut la manipuler le plus aisément. Le monde du travail, malheureusement, loge donc ce type d'individu beaucoup plus fréquemment que supposé. Il est en général le lieu idéal pour celui (ou celle) qui souffre affectivement, c'est-à-dire l'esseulé qui n'arrive pas (ou plus) à former un couple. Le pervers narcissique professionnel se venge consciemment et inconsciemment de sa solitude et c'est pour cette raison qu'il constitue un danger permanent pour les autres.
C'est à Paul-Claude Racamier, psychiatre et psychanalyste, que l'on doit des travaux (1986) d'une extrême importance sur la manipulation mentale et le harcèlement moral mais il est à préciser que le pervers narcissique dans l'entreprise avance particulièrement masqué : il est très aimable, mielleux, souriant avec tout le monde, jamais agressif, jamais en colère, poli, prêt à donner l'illusion de rendre service - des plus banals aux plus irréalisables pour ses faibles moyens (mais n'oublions pas qu'il est narcissique !) -, remue beaucoup d'air pour peu de résultats. L'équipe s'investit alors de plus en plus, trouve des idées pour lui, travaille beaucoup trop. L'équipe le sait mais comme il est " gentil ", toutes les circonstances atténuantes lui sont accordées. Pourtant, habilement et à la longue, il arrive à séparer des salariés de bonne volonté qui s'entendaient bien. Par voie de conséquence, il veut aider les employés qui, de fait, deviennent " parano " (le pervers narcissique leur remonte le moral !). Il fait également semblant de ne pas comprendre ceux qui finissent par quitter la " boîte " définitivement, eux qui n'en pouvaient plus sans savoir vraiment pourquoi. Le pervers narcissique isole pour se cacher son propre isolement qu'il a d'ailleurs fabriqué. De fait, les retombées négatives sont légion... Indépendamment de l'entreprise dans laquelle règne un mauvais climat, les chiffres sont en général à la baisse ou en pseudo équilibre, ce qui revient au même. La raison ? Le pervers narcissique s'arrange pour occuper un poste-clé (c'est un beau parleur) et être aux commandes (il se veut dominateur déguisé pour écraser plus facilement ses compagnons de route malchanceux) mais ne possède toutefois pas l'ambition nécessaire, notamment en terme de finances, ce qui joue un rôle funeste potentiellement. Ce prédateur manie l'art de la coupure, de la schizure chez les autres avec maestria mais lui reste à son poste, bien au chaud, tandis que beaucoup envisagent de partir pour finir par partir. Ainsi, ne comptez pas sur lui pour que la courbe pécuniaire de l'entreprise soit à la hausse : il ne pourrait plus avoir d'ascendant sur ses partenaires qu'il méprise tout au fond de lui. Tel un marionnettiste, il a ce qu'il pense être sa cour, ses groopies, sous sa "coupe ". Les chiffres sont donc médiocres ou carrément mauvais (encore une fois, il en est largement et volontairement responsable) ? Pas de problème ! Le " sauveur de pacotille ", qui a tout prévu, arrive, va intervenir et redresser tout cela ! Il n'est pas inquiet, lui, il a confiance en ses potentialités. Il cherche à rassurer. On y croit : il est si dévoué... Toutefois et paradoxalement, les membres de l'équipe vont à nouveau faire à sa place le travail qui lui incombe, trouvant des stratégies pour éviter la catastrophe. Je disais que les réactions négatives sont légion puisqu'il ne faut pas perdre de vue que le pervers narcissique professionnel a pour but suprême et ultime de détruire la famille, le couple ou le bonheur de ceux avec lesquels il est censé travailler. Quand le salarié rentre chez lui, il est épuisé, se plaint de sa précarité salariale, abîmant ainsi ses liens sentimentaux et amoureux. Car, à la maison, on craque aussi, les plaintes compulsives étant contagieuses et anxiogènes. Le pervers narcissique arrive peu à peu à violer, sans se mouiller, la vie privée de ses collaborateurs. Il faut bien intégrer qu'il croit qu'il n'a rien à perdre : lui, il est seul... Mais, dans son cas, qu'il n'ait rien à perdre constitue un leurre, un fantasme et un bien mauvais calcul, ignorant qu'il finira par retourner ses agissements pernicieux prédateurs contre lui, un jour ou l'autre. Freud n'a-t-il pas assuré que tout sadique est toujours et en même temps un masochiste... Gandhi n'a-t-il pas dit que les tyrans sont toujours vaincus... En attendant, il faut se protéger de ce personnage démoniaque. Les attitudes à respecter sans jamais déroger ? Mettre une distance énorme avec lui (ses propos, ses actes, ses dérives, son laxisme, son passéisme camouflés sont toxiques dans le sens où ils polluent le psychisme de l'interlocuteur qui, par réflexe défensif, déclenche mal son imaginaire), ne jamais lui faire de confidences personnelles ou professionnelles (il les utiliserait), refuser ses services (qui ne seraient que virtuels), identifier le travail que lui a à réaliser et ne plus jamais s'y substituer. En d'autres termes, pour échapper à la dépression nerveuse ou à un autolicenciement, il est impératif de mettre des limites nettes, précises et radicales au pervers narcissique. Quant aux discussions " dirigées " et menaçantes qu'il lance de préférence le vendredi soir en parlant, par exemple, avec jouissance, des clients de l'entreprise qui sont pénalisés par les charges et qui finiront par déserter (!), elles sont à bannir et à refuser pour que le week-end soit serein (lundi matin, il sera temps d'en reparler, ce qui n'intéressera plus le pervers narcissique à ce moment-là...). S'il faut - on s'en doute - de la vigilance face à ce terroriste psychologique, tenir bon permet de sauver sa santé et son emploi et ça vaut tout de même la peine.