Mère Teresa assurait que " la perte d'une certaine pudeur comme la perte de la pureté sont les causes profondes de la décadence du monde "... Il est vrai que l'observation de la société d'aujourd'hui, et selon l'angle sous lequel elle est détaillée, peut rejoindre le point de vue de cette grande religieuse missionnaire. Pour autant, les transformations sociétales inéluctables pourraient-elles l'infirmer ?
Il y a quelques années, je suivais en analyse une jeune femme pour une infertilité psychogène. Sa mère venait de décéder brutalement et en rangeant son appartement, cette analysante m'avait confié avoir trouvé une liste de courses inachevée, bien en évidence sur la table de la cuisine, sur laquelle était mentionné : " Fille " aspirateur. Cette erreur d'écriture qui avait remplacé involontairement le mot " Filtre ", suivie du terme " aspirateur ", lui fit dire qu'elle était sûre qu'elle n'aurait jamais dû voir le jour et que l'inconscient de celle qui l'avait finalement mise au monde s'était débrouillé, avant de quitter cette dimension, pour que sa fille apprenne ce lourd secret, dont elle se sentait maintenant délivrée... Y avait-il eu, dans ce lapsus calami maternel, la manifestation d'une honte, doublée d'une culpabilité, bien enfouie jusque-là, ou l'expression d'une attitude pudique ? La question reste précisément complexe dans la mesure où l'auteur de cette " faute ", qui s'est infiltrée sur un simple morceau de papier, banal en apparence, n'est plus là pour y répondre. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certaine du tout que la découverte de ce lapsus ait eu le même impact sur sa destinataire du vivant de la " responsable "... Toutefois, hormis le domaine de la psychanalyse, peu de personnes aujourd'hui sont enclines au décodage linguistique. Le monde de l'image cherche à remplacer, à supplanter même, avec plus ou moins d'élégance, les mots et autres textes d'une haute tenue littéraire... Plus que jamais, regarder par le trou de la serrure est devenu un (en)jeu malsain, véritable surenchère qui, généralement décriée a posteriori, a de toute façon ses adeptes.
Après avoir été trompée, ridiculisée et éconduite, une ex-fausse-première-dame française déballait il y a quelques mois, dans un livre et dans beaucoup d'interviews, ses secrets d'alcôve personnels et autres maladresses politiques durant son séjour éclair à l'Elysée : pour les féministes il le fallait, de leur côté certains journalistes justifiaient ainsi leur job, tandis que des citoyens, des élus ou des amis du Président cherchaient à éteindre l'incendie... Au tour maintenant de la nouvelle-fausse-première-dame qui, mine de rien, s'arrange pour être sous les " feux " de la rampe en permanence, allant jusqu'à utiliser son grand-père, Compagnon de la Libération, encore méconnu du grand public avant ce 18 juin 2015, pour attirer et attiser les curiosités tous azimuts : le chignon était parfait, la tenue vestimentaire très Jackie Kennedy (nous avions déjà eu droit à ce look " Première dame " lors du précédent quinquennat) et le geste particulièrement tendre vis-à-vis de l'aïeul qui reçut l'extrême honneur de sentir son fauteuil roulant poussé pendant quelques secondes par sa petite-fille souriante à souhaits... Elle se voulait discrète (ah bon ?) mais on ne voyait qu'elle !
Où est donc passée Dame Pudeur qui n'aurait pas supporté tout ce " cinéma " du temps, pas si éloigné, où chacun savait encore rester à sa place, du temps où les mamans n'embrassaient pas leurs enfants sur la bouche, du temps où ces mêmes enfants ne disaient pas " Je t'aime " à tout bout de champ à leurs parents qui répètent - comme par réflexe - cette inculcation inutile, du temps où les profs n'étaient pas insultés... Du temps où... la pudeur n'était peut-être qu'une illusion...
Il y a un siècle, Sigmund Freud disait déjà qu' " il existe plus d'Hommes qui acceptent la civilisation en hypocrites que d'Hommes vraiment et réellement civilisés ", précisant encore que " la liberté individuelle n'est nullement un produit culturel "... De quoi envisager alors la pudeur comme le terreau des facéties humaines et laisser ouverte l'interrogation quant aux frontières décidément bien floues de l'estime de soi et des autres.
Commentaires
Gilbert. R. Psy...
Une lecture qui interroge
Votre texte, Chantal Calatayud, analyse tout en nuance et de façon à laisser la place à l'interrogation ce que peut être une " pudeur " faite de respect de soi et d'autrui. Lorsqu'on voit l'importance que prennent ces émissions de soit-disant " Télé-réalité ", il est vrai que l'impudeur laisse des traces une fois les feux de la rampe éteints. Inutile de donner des noms et des exemples précis. Mais je me demande si la véritable impudeur ne vient pas de ces producteurs pour qui seul l'audimat fait loi, au risque d'inculturer toute une population. Sigmund Freud était déjà à contre-courant à son époque. Ses successeurs, dont je fais modestement partie, ont encore beaucoup de pain sur la planche pour dénoncer, à leur niveau, cette mascarade de liberté. Je souscris donc entièrement à ce qui est véhiculé explicitement et surtout implicitement dans votre blog. Tant qu'il y aura de l'interrogation dans l'air, je suis persuadé que les choses continueront d'évoluer dans le bon sens, " bon sens "étant à prendre dans les deux acceptions de l'expression !
Virginie Descourty
Voilà qui fait écho...
Voilà qui fait écho à quelques mots écrits il y a un ou deux ans et que je relie régulièrement pour mon bien. Les voici :
Il est possible d’être entendu sans crier
Il est possible d’être compris sans beaucoup parler
Il est possible d’être vu sans s’exhiber
Il est possible d’être reconnu sans se revendiquer
Il est possible d’exister sans se justifier
Trouver sa juste place sans encombrer ni être encombré
Aller à l’essentiel
Être libre.
Est ce cela la pudeur ? Savoir exister sans avoir à se montrer à l'autre avec ostentation, savoir exister par soi et non par le regard de l'autre ?
Ne sommes nous pas face à une difficulté à exister pour soi par méconnaissance de soi ?
Obnubilés par l'image de soi nous serions aveugles à l'incarnation de soi, à l'action de soi, à l’œuvre de soi.
Aveugle à l'être nous ne serions qu'image, telle une affiche publicitaire aguichant le regard du plus grand nombre, n'existant qu'en deux dimensions, oubliant la troisième, celle qui donne consistance et réalité à une personnalité que son mystère et sa complexité effraie tant que nous préférerions l'occulter.
Derrière l'image exhibée se cache, froussarde et honteuse, la vraie personne tant aux yeux des autres qu'à notre propre regard.
Ainsi dispensée de vivre par soi nous survivons par le regard de l'autre, nous faisant croire à la satisfaction d'une existence partielle et fausse.
Cette apparente disparition de la pudeur ne serait-elle pas une mutation d'elle même en aveuglement ?
L'exhibition, l'ostentation ne seraient -elles pas là pour nous dissimuler cette part d’extrême intimité qui fait ce que nous sommes réellement ?
Pour que la pudeur nous revienne ne faudrait-il pas que le courage nous revienne ?
Le courage de nous observer nous même, le courage de nous voir tel que nous sommes vraiment, faillible et imparfait mais si riche de cette réalité ?
La pudeur passée ne me semble pas avoir été une illusion, elle était du temps du courage et ce temps, je le crois, revient.
Le temps du courage nous reviens lentement, par saccade, avec hésitation mais il revient.
Donnons nous ce courage d'exister par nous même (nous m'aime) et nous serons aimables, aimants et aimés… en trois dimensions.
Cécile
Un joli commentaire de Virginie !
Votre commentaire, Virginie, m'a donné l'occasion de lire ce blog sur la pudeur de Chantal Calatayud que j'avais occulté... Et apparemment je ne suis pas la seule ! Peut-être est-ce justement la manifestation de la pudeur de nos amis foromers. Quoi qu'il en soit, votre post m'a beaucoup plu et je trouve dommage que vous n'interveniez pas plus souvent ! A très bientôt donc de vous lire encore !