Tout parcours de vie traduit l'expression des particularités singulières et uniques de chacun. À ce sujet, il est bien entendu dommage en son principe de faire entrer les êtres humains dans des cases approximatives en fonction de l'image similaire, en apparence, qu'ils renvoient. Toutefois, il a bien fallu au fil des décennies, devant certains comportements psychotiques dangereux ou névrotiques douloureux, que la psychiatrie et la psychologie classent, répertorient... Il fallait y voir le plus clairement possible pour comprendre, puis pour soigner et, quoi qu'il en soit, calmer, apaiser...
Comprendre... Ce projet altruiste n'est-il cependant pas aberrant en constatant déjà la grande difficulté à " se " comprendre ? De toute façon, entre l'existence d'individus responsables, raisonnables, adaptables, et celle complètement agitée et perturbée de leurs " congénères ", ces couples d'opposés ne pouvaient que conduire la science à chercher la cause psychique de ces différences si déstabilisantes... Ce fut un premier grand pas, la folie, la dépression, la phobie et même les conduites d'échec récurrentes tous azimuts excluant de fait le jugement et donc la honte. Ces considérations positives étant, il n'en demeure pas moins que si elles n'ont pas pour vocation d'entrer dans des déductions directement ontologiques, elles soulèvent une interrogation : quel que soit notre profil psychologique, nos fixations et nos réflexes plus ou moins corrects qui en découlent, nous égarons-nous vraiment ?
Je me pose souvent cette question et le décès, très médiatisé, de Christian Audigier, ce nouveau millionnaire plutôt insaisissable, m'a replongée dans cette interrogation. D'une enfance assez misérable passée dans des quartiers avignonnais défavorisés, son adolescence fut chaotique mais, pour chasser les mauvais esprits qui s'étaient penchés sur son berceau, il avait décidé de s'en sortir, comme il l'expliquait au gré de ses interviews. Avec cette manière de combattre un probable complexe d'infériorité et sa kyrielle de souffrances mêlées du sentiment d'injustice, il allait partir très tôt en guerre, avec ses moyens à lui, contre une fatalité qu'il refusait, pour pouvoir enfin prendre sa revanche... En observant son bonheur affiché lors de reportages lui étant consacrés, cette revanche il l'a eue et l'a savourée quelques années éphémères. Être " l'ami des stars " et faire fortune grâce à un culot qui traduisait sa certitude qu'il n'avait rien à perdre, ayant donc connu tout jeune l'insupportable, ne pouvait que le combler... Malheureusement pour un temps seulement... Son ascension fulgurante, qu'il cherchait à immortaliser par des centaines de clichés photographiques comme s'il n'y croyait pas réellement lui-même, n'allait pourtant plus laisser de place à une ascension encore plus démesurée. Le contrat était rempli... Il fallait redescendre tel l'alpiniste héroïque qui contemple le bas de la vallée qu'il n'a plus qu'à " re-gagner "... Le mythe de Sisyphe ne se démentira jamais et il est probable que Christian Audigier ait finalement mis tout son capital santé à se maintenir à un niveau de reconnaissance qui le satisfaisait, oubliant en parallèle que rares sont ceux qui y parviennent, a fortiori quand une autosurexposition excessive et mal orchestrée aboutit à retrouver brutalement l'essence de l'Être : son origine, à tous les sens du terme... Atteint d'une leucémie, à force plausiblement de s'être fait du " mauvais sang " pour ses affaires à sauver coûte que coûte et d'avoir " appauvri " ses ressources énergétiques, il apparaissait de plus en plus amaigri. Cet amaigrissement pouvait créer une confusion famélique, sorte de restitution d'un début d'existence où l'argent devait manquer cruellement... Il préparait d'ailleurs un documentaire sur sa maladie, film témoin - à son insu - de ce qu'il n'avait légitimement pas à dépasser : sa propre histoire depuis son commencement. Ainsi, nous ne nous égarons a priori jamais. L'inconscient n'a pas besoin de semer de petits cailloux sur le chemin pour retrouver sa route. Il sait d'où il vient, en garde une mémoire indélébile, et malgré l'illusion dont il s'affuble quand il a trop mal, pour échapper sempiternellement à ce qui l'a marqué au fer rouge dans l'innocence de l'enfance, il retournera un jour ou l'autre à ce point de départ, repère tristement déguisé s'il ne parvient pas à l'accepter. Le drame se résumant en fait à ne souffrir que de soi-même...
Commentaires
Ugo
Accepter sans juger
Je vous remercie, Chantal, pour ce blog humanisant. " Nous ne nous égarons pas " est une belle ouverture vers l'acceptation de ce qui pourrait me faire encore souffrir dans mon existence. Accepter sans juger. J'ai encore du chemin à parcourir pour y arriver, seulement à partir d'aujourd'hui, je sais que mon inconscient sait d'où il vient et donc où il va.
Gilbert. R. Psy...
L'essence de l'Être
Votre blog, Chantal, renvoie quasi ontologiquement - et vous employez l'expression - à cet essence de l'Être avec lequel on ne peut finalement tricher, malgré tous les subterfuges que l'inconscient et le conscient peuvent mettre en place. Ainsi, vous induisez que la souffrance est inhérente à la non acceptation de nos origines. Et je suis bien d'accord, puisqu'une cure psychanalytique, in fine, revient à dire oui à notre incarnation, aussi pénible soit-elle. Dans son ouvrage " Le centre de l'être ", Karlfried Graf Dürckheim décline la notion d'être essentiel. Il écrit " Être en accord avec l'Être ne signifie pas être dans un état de perfection. Vouloir atteindre la perfection est une erreur que ne doit pas commettre celui qui est en chemin. Notre vérité est souvent assez misérable, en rapport avec notre idéal. Il me semble que la sublimation, qui permet d'avancer sur son chemin, ne peut faire l'impasse de ce constat. Dürckheim ose même alors le mot " transcendance " en poursuivant : la transcendance ne se manifeste pas quand nous dépassons le niveau humain, mai précisément là où nous reconnaissons ce niveau humain, lorsque nous reconnaissons notre faiblesse. Et c'est en ce sens que le refus d'humilité conduit inévitablement - à mon sens - à fabriquer notre propre souffrance...
Jean
Un combat perdu d'avance !
Votre blog m'a fait réaliser une chose " essentielle ". Vouloir emprunter un chemin qui n'est pas fondamentalement le nôtre, non seulement peut nous faire retourner à la case départ, comme au monopoly, mais " monopolise " aussi une énergie phénomènale dans un combat perdu d'avance. L'exemple que vous donnez est suffisamment parlant pour ouvrir à l'interrogation, à ma propre interrogation. Merci !
Sofia M
Une vaccination psychologique
Je suis pleinement d'accord avec le blog de Chantal Calatayud.
Accepter le contexte familial, CAD social en quelque sorte, dans lequel nous sommes nés, est le seul moyen que nous ayons pour avancer sereinement dans l'existence malgré les entraves que nous rencontrons. De toute manière, ces entraves auront toujours à voir avec le traumatisme primordial de notre enfance car nos épreuves seraient sinon insupportables et insurmontables si nous n'avions pas été confrontées à leur essence dès notre plus jeune âge. C'est comme si nous évoluions en terrain connu, sublimable du fait d'un processus de vaccination psychologique... C'est pour cette raison qu'il est dit que nous sommes ce que nous avons été et que nous serons ce que nous sommes. Je ne connaissais pas Monsieur Audigier mais, abordé sous un angle psychanalytique et spirituel, son parcours donne à comprendre effectivement qu'il est revenu à sa part traumatique... Ceci apparaît logique puisque nous ne pouvons pas changer notre histoire personnelle. S'y essayer peut conduire à des souffrances psychologiques abominables, à la maladie et à une mort coupée de la réalité de soi. Tout devient donc injuste, pousse à fuir sa propre identité et à vivre par procuration.
Gilbert
Sublime expression de Sofia M
J'adore cette expression " vaccination psychologique ". C'est comme si nous venions au monde protégé et que nous n'avions véritablement rien à craindre dès notre premier souffle de vie. Si nous avons été capable de traverser ce traumatisme initial, c'est que nous avons le potentiel vital pour avancer. Le souffle, c'est aussi l'Esprit.
yamina.174
Dommage d'avoir peur...
Je partage totalement votre réflexion Gilbert.
Il est décidément bien regrettable que nous ayons peur car, effectivement, toute notre vie nous n'aurons qu'à rejouer le scénario de notre traumatisme infantile, soit la raison (probable) de notre incarnation. Et, comme vous le dites, si nous avons tenu le coup et dans la période pré-verbale jusqu'à l'adolescence avancée, on ne voit pas trop quel danger plus grave encore pourrait nous menacer...
cricri
Le courage du petit d'Homme blessé
Je rejoins bien sûr l'ensemble de cette discussion tant elle est porteuse de sens et de Vérité...
Quand je manque de courage, je vais d'ailleurs revisiter mon enfance et, comme le dit Yamina, je ne peux que constater que si j'ai tenu le coup toute petite devant l'incompréhensible et l'insupportable pour moi, introvertie dès le début de mon existence de par de grosses difficultés familiales, je ne vois pas pourquoi je n'arriverais pas à surmonter les obstacles qui se dressent encore devant moi, maintenant que je suis plus qu'adulte et sexagénaire... La petite fille courageuse que j'étais devient mon miroir et je la revois bien campée sur ses petites jambes, ravalant ses larmes et ses angoisses... Un temps mutique, j'aurais pu le rester mais ma trajectoire existentielle ne passait pas par-là... Je viens de réaliser, en rédigeant mon post, qu'une de mes cousines est sourde et muette... Cette pathologie, en plus du reste, avait dû sacrément me marquer mais, bavarde comme je suis, j'ai dû finir par la sublimer...
Danièle-Dax
Pourquoi ces répétitions difficiles ?
Je n'avais jamais compris que l'enfance douloureuse se rejouait tout au long de la vie, empruntant sûrement des masques qui peuvent nous aveugler et nous donner l'illusion du contraire. Mais avez-vous une idée de pourquoi ces répétitions tout aussi masquées soient-elles ?
Sofia M
Le pardon en réponse
Votre question est aussi intéressante que complexe et je vais essayer d'y répondre de mon mieux...
Pour la psychanalyse, tout ce que nous n'avons pas " liquidé " de notre enfance en tant que traumatismes va revenir en tant que " compulsions de destin ", c'est-à-dire tant que la mémoire de ces événements traumatiques reste vivace et donc douloureuse, générant des angoisses pathologiques, même si elles ne sont pas invalidantes. En fait, pour s'en libérer, il faut soit les sublimer en en faisant un axe social, soit les accepter comme faisant partie intégrante de notre histoire (je pense qu'il s'agit-là de l'idée du blog de Chantal Calatayud). Par expérience, il me semble que c'est une première grande marche mais cependant insuffisante dans la majeure partie des cas. C'est d'ailleurs ce qui m'a poussée à développer ma spiritualité. Effectivement, pour les spiritualistes, seul le pardon peut venir à bout de notre anxiété infantile en la déracinant. Pour éclairer mon propos, je vais prendre l'exemple d'un enfant qui aurait souffert d'un père qui ne travaillait pas alors qu'il aurait pu. Devenu adulte, il va vivre dans l'angoisse permanente d'une perte d'emploi mais s'arrangera certainement pour bien se débrouiller professionnellement et financièrement. Mais s'il devient père de famille à son tour et que son fils soit au chômage, les angoisses de son enfance vont réapparaître décuplées. Il pourra même en tomber malade alors qu'il ne sera plus directement concerné comme dans l'enfance où les privations de l'essentiel pouvaient sévir... Ce genre de réactions traduit le fait qu'il n'a jamais pardonné à son père sa paresse... Il faut donc qu'il démarre un travail de pardon sur son père, même si celui-ci est décédé. Pour les psychanalystes chrétiens, le surmoi entraîne des schémas compulsifs car le jugement d'autrui est une projection qui coupe l'être humain de sa propre réalité et de sa propre existence. Pour les spiritualistes, nous n'avons pas à juger car juger revient à juger Dieu. La démarche est en fait identique mais seul le pardon est un agent efficace de l'arrêt des compulsions négatives.
Danièle-Dax
Je viens de comprendre ma confusion et ses conséquences...
Merci Sofia pour votre réponse, rendue d'autant plus accessible pour moi grâce à l'exemple que vous avez pris.
Je viens de comprendre tout d'un coup ma relation à l'argent, mes parents ayant été obligés de me mettre en " pension " dès la sixième... Et alors que j'ai épousé un homme très sécurisant, très stable, très solide, j'ai toujours peur de " manquer " comme on dit. Je n'ai pas la prétention de posséder une dimension psy mais je viens d'entendre l'analogie financière avec le terme pension ! À mon âge, il était grand temps ! En plus, je m'angoisse toujours pour mon fils qui, je trouve, dépense énormément d'argent avec et pour sa femme et leur fils... Je pense qu'ils vivent au-dessus de leurs moyens. Je sais que ça ne me regarde pas mais je peux en avoir des insomnies...
Vous venez donc de me faire voir que je n'avais jamais pardonné à mes parents de m'avoir mise en pension alors que je croyais que c'était pour mon " bien "... Allez, ça continue cette confusion que je faisais avec ce terme " bien " qui est un homonyme qui a de fait dû me jouer des tours inconsciemment... Dès ce soir, je vais commencer une démarche de pardon vis-à-vis de mes parents... J'étais à des années-lumière de me douter que je pouvoir avoir de la rancune vis-à-vis d'eux alors que je n'ai jamais été en conflit ni en désaccord avec eux... C'est sûr qu'à ce train, mes angoisses pécuniaires ne pouvaient que résister...
Mille mercis Sofia et très bonne soirée à vous tous,
Danièle
Gilbert. R. Psy...
Réactions et abréactions
Même si nous ne sommes pas dans les conditions d'une cure analytique ni dans le contexte d'un atelier de psychanalyse, je reste frappé très agréablement par les réactions et abréactions (libérations d'affect) qu'un simple blog peut engendrer chez des foromers qui s'interrogent comme vous. Un grand merci à Sofia M pour ces compétences à ce niveau et sa maîtrise de la communication sur un forum. Je suis très enthousiaste et vous souhaite à tous, à mon tour, une superbe soirée,
Gilbert. R.
Cécile
Un poids en moins !
Oui, je trouve tout ce que vous avez dit très rassurant. Très rassurant parce que nous avons tous cette possibilité du pardon libérateur. Mais un pardon en profondeur, pas un pardon de béni-oui-oui qui masquerait la forêt. Le témoignage de Danièle-Dax m'a littéralement donné des ailes. Oui, moi aussi il faut que je pardonne à ma mère en profondeur sa maladie psychotique. D'ailleurs Chantal Calatayud commence par cela (la folie). Je " crois " qu'il faut que je lâche encore quelque chose de cette honte qu'il me reste à ce niveau. Et vos témoignages, qui m'ont permis de mieux comprendre le sens implicite de ce blog, m'ont libérée d'un poids. Je le ressens jusque dans mon corps....