" Adultes, savez-vous que 8 adolescents sur 10 pleurent dans leur oreiller tous les soirs et font de leur journée du 'Il faut' ? ", interrogeait sévèrement Françoise Dolto... Parfois d'ailleurs, les larmes ne coulent pas car " ça ne se fait pas " ou, encore, pas question d'inquiéter ses parents... En réalité, le devoir ne se dissociant pas de l'affectif, la notion d'obligation qui accompagne aussi l'ensemble de la scolarité complique les transferts.
Il me semble que tout un chacun se souvient de son premier jour d'école. En ce qui me concerne, ma mémoire se fait ambivalente, me rappelant la fierté d'avoir donné à ma mère l'illusion d'un certain courage, tout en regrettant de ne pas avoir attiré suffisamment son attention sur mes petites jambes tremblotantes. Non seulement j'avais peur des " grands " mais ma peine à la voir s'éloigner de l'établissement était incommensurable...
Pourtant, en règle générale bien préparé psychologiquement par la famille, joliment équipé, fournitures scolaires et vêtements choisis soigneusement avec maman quelques jours plus tôt, affronter la maîtresse ou le maître, les copains qui n'en sont pas encore, l'immense salle de classe et autre cour de récréation, ne devrait - en principe - pas poser de problème à l'écolier. En principe... Car, comme l'écrit Daniel Pennac dans son livre " Chagrin d'école ", " Statistiquement tout s'explique, personnellement tout se complique "...
Les apprentissages exposent le petit d'Homme à un enseignant qui ne connaît pas les enfants qu'il a en charge. Quoi qu'il en soit, il n'a pas pour vocation de comprendre les affects qui peuvent éventuellement bloquer leur réceptivité et leur motivation. En outre, apprendre étant comprendre, le chargé de cours ne disposant donc pas réellement de moyens d'analyser individuellement les élèves de sa classe, comment un profil fragile aurait-il accès facilement aux fondamentaux dispensés par le représentant de l'Éducation nationale ? Rapidement du reste, ce type d'élève ne cherchera plus à " suivre " le programme. Habitué qu'il est à raisonner en terme de courage, il fera semblant... jusqu'aux premiers résultats décevants... Décrocher dès le CP est par conséquent bel et bien possible mais, fort heureusement, ce désagrément attire le regard aimant et anxieux des géniteurs ! Un bénéfice non négligeable... Ceci étant, la souffrance une fois sublimée chez certains peut s'avérer un moteur remarquable, générant une autonomie efficace dont grand nombre de premiers de la classe ont recueilli les fruits légitimes. Effectivement, la sublimation est-elle également intimement liée au courage, ce processus inconscient exigeant de mettre de côté les élans œdipiens pour les résoudre et les abandonner. L'énergie récupérée contribuera à valoriser le désir d'accéder aux savoirs. Toutefois, entre l'élève qui assume plutôt mal et celui qui assure plutôt très bien, se faufile l'enfant qui n'est ni l'un ni l'autre. Il s'agit de celui qui rassure et ses parents et l'enseignant ! Empruntant la voie du milieu, il ne déstabilise pas son entourage qui dit de lui prématurément qu'il s'en sortira toujours. Quel courage cependant doit-il déployer pour masquer les difficultés qu'il rencontre pour se montrer moyen et s'y maintenir au fil des années ! L'avantage, c'est qu'il échappe au constat réducteur qui consiste à véhiculer qu'il fait ce qu'il peut... Ces trois tempéraments distincts relèveront de fait les défis de la vie en fonction de leurs mécanismes de défense. Certes, ceux qui y parviendront le mieux, du moins aux yeux de la société, seront ceux qui arriveront à les transformer en mécanismes de protection.
La réussite est de toute façon relative et dépend de l'appréciation personnelle. La vraie réalisation consiste à vivre comme on l'imagine, histoire de ne plus tricher avec soi-même pas plus qu'avec les autres... Envisager cette posture apaisante faisait préciser à l'écrivain Marcel Jouhandeau que si, avant la fin de son existence, on ressemble, même de loin, à ce que l'on a toujours voulu être, on peut alors prétendre avoir réussi.
Commentaires
Gilbert
Bel état des lieux !
Comme je me retrouve, Chantal Calatayud, dans votre texte ! Je m'y retrouve aussi bien en tant qu'élève qui a fait avec ce qu'il était, les parents qu'il avait, et l'école telle qu'elle était dans les années 60/70. Je m'y retrouve aussi en tant qu'enseignant spécialisé, m'occupant d'élèves qui n'ont pas pu (ou pas voulu) pour des raisons souvent de milieu familial et social, entrer dans le système de la réussite scolaire normée. Peut-être la seule satisfaction que j'ai gardée étaient qu'ils viennent dans ma classe le matin à 8 h 30, sans la peur au ventre d'un jugement. C'est très peu bien sûr, car mes anciens élèves ne sont devenus ni notaires, ni enseignants et encore moins ingénieurs. Mais lorsque je les rencontre, je suis heureux de savoir que certains ont un boulot (et c'est déjà fabuleux, vu qu'ils n'ont aucune qualification) et qu'ils ne s'y rendent pas à reculons. Ils sont fiers (certains aussi) de me parler de leurs propres enfants qui galèrent aussi, mais pas tous ! Bref, oui, vous avez raison de saluer le courage des élèves en général mais je salue aussi celui de ces milliers d'élèves en France qui n'accèdent pas à la moyenne et que le système éducatif ne parvient pas encore - malgré beaucoup d'efforts - à intégrer. Pourtant, c'est à mon sens une priorité. Un élève qui travaille bien a moins besoin de réflexion de fond que des élèves en difficulté. C'est un problème de société qui devrait être une priorité pour nos chers gouvernants... Mais bon !!!
Merci Chantal !
Gilbert
Mireille-cogolin
Dur dur d'être un écolier...
Que de souvenirs ce blog a fait remonter en moi !
Je suis d'accord avec Chantal Calatayud quand elle décrit le courage des très jeunes élèves. Quand il m'arrive de croiser des écoliers, je retrouve intacts la longueur des journées de classe, les remontrances, voire les punitions que les enseignants nous infligeaient pour notre bien... Ce que je réalise encore davantage aujourd'hui, c'est que nous étions si petits, si fragiles, et qu'il fallait avancer, tout comme les élèves d'aujourd'hui doivent avancer en se pliant à une discipline bien sévère... L'apprentissage de la vie active est décidément bien dur...
Lilou.G
Que de contraintes pour les tout-petits...
Sans vouloir dramatiser, je suis très sensible à l'ensemble de ce blog et de cette discussion en tant qu'ancienne élève devenue prof aujourd'hui...
Je crois pouvoir dire que le courage des tout-petits à l'école dont parle Chantal Calatayud m'est toujours aussi insupportable à regarder... Je viens de prendre conscience tout à coup qu'alors que du plus loin dont je me souvienne, j'ai toujours voulu être enseignante, c'est certainement la raison qui a fait que je suis allée plus loin qu'instit dans ma carrière professionnelle...
Orlan
Quand les chiens font des chats !
Personnellement, mes parents étant des bourreaux de travail sur leur propriété agricole et des bourreaux en rentrant à la maison vu que j'étais un très bon élève (!!!), je me réfugiais toujours davantage dans la scolarité... Pour moi, l'école, c'était plus doux que les réflexions de mon père qui me reprochait d'être " toujours fourré dans les livres " ! Je l'entends encore maugréer son sempiternel : " C'est ti pas malheureux ! Y saura jamais tenir une fourche ! "...
En revanche, ce blog vient de me faire prendre conscience que je n'ai pas véritablement mesuré les règles pénibles que mon fils devait supporter même à la maternelle où il se rendait en hurlant !
Sofia M
L'aberration de l'âge des premiers apprentissages
Les psychanalystes ont beau tirer la sonnette d'alarme, l'entrée à l'école maternelle est beaucoup trop précoce. Bien sûr, une majorité de mamans travaillent mais de vraies garderies adaptées pourraient prendre le relais des crèches en instaurant un vrai espace ludique dans lequel les potentialités et la créativité de chacun pourraient émerger... Dans un pays où le chômage sévit, ces perspectives pourraient joindre l'utile à l'agréable... Un vœu pieux ?
Gilbert
A fond de votre avis !
Le plus mauvais souvenir de ma carrière d'enseignant, c'est quand j'étais encore jeune remplaçant. On m'avait confié la rentrée dans une classe de petite section de maternelle. J'ai cru assisté à l'horreur totale. Des petits bouts de choux hurlant, s'accrochant aux grillage, blancs d'angoisse. Terrible ! Il n'étaient que deux ou trois mais l'angoisse étant contagieuse, ils la refilaenit aux autres qui n'étaient déjà pas tranquilles. Heureusement que j'avais une aide maternelle compétente car on ne m'avait pas formé pour cela à l'Ecole Normale. J'ai quand même pris sur moi pour demander aux parents qui le pouvaient de les amener en pointillé les premiers jours. C'est d'ailleurs, je crois, ce qui se fait actuellement. Mais je pense aussi qu'une articulation entre la crèche et l'école serait la bienvenue !
Michèle
Merci Chantal
Un très joli texte, tout en finesse et généreux. Tout simplement merci !
zab
Super pour un jour de rentrée!
Ce blog m'a rendu service par rapport à mon fils.
je le relirai car il m'a remis les idées en place par rapport à sa scolarité et j'en avais besoin!
nanou-69
Premier jour pour moi et mon fils !
Je comprends mieux pouquoi mon gamin n'arrivait pas à s'endormir hier soir. D'ailleurs, j'ai eu un peu de mal moi aussi car j'ai fait moi aussi ma rentrée. Un nouveau directeur qui a l'air dynamique. Des enseignants nouveaux mais mon ami est toujours là... ça m'a rassuré. Beaucoup de paperasse aujourd'hui. Je pense que nous allons mieux dormir ce soir. Mon gamin a l'air content aussi de sa nouvelle maîtresse.
Juliette
Pas facile, la rentrée !
J'ai un neveu qui devait rentrer au CE1 aujourd'hui et qui a une " gastro " depuis dimanche soir. Résultat, il n'a pas pu faire la rentrée aujourd'hui, il ne la fera que demain. Je pense que son message est clair ! Du coup, je pense à lui avec tendresse et lui souhaite beaucoup de courage pour demain.
Isabelle
Une rentrée plus "zen"...
Ce blog m'a permis moi aussi de me remettre dans un "meilleur état d'esprit"... Ce blog, si je suis honnête, a presque valeur d'une autocastration en ce qui me concerne. J'ai réalisé avant hier, en le lisant attentivement, combien je me mets la pression toute seule, quand à la scolarité de mon jeune ado, et bien entendu, je le mets en stress... Hors, il est bien évident, qu'il n'a sans doute pas "besoin" que je lui en "remette des couches"... D'autant qu'il s'est autorisé hier soir, à reconnaître qu'il se sentait un peu angoissé, sur la pré-rentrée de ce matin... Il s'agit donc de mon côté, que j'arrête mes projections qui n'ont aucune raisons d'être, si ce n'est que je mets un enjeu sur sa scolarité, comme s'il était primordial "que mon fils réussisse" pour justifier que sa mère est une "bonne mère"... ce qui est d'ailleurs, aussi, une histoire familiale. Donc moralité... Mes "enjeux fantasmatiques" ne font bien évidemment qu'alourdir son propre cheminement à lui... qui n'est pas nécessairement "simple" à gérer pour lui...
Sylvie
Exprimer plutôt que réprimer
A la lecture de votre article, je me rends compte ,Chantal, et avec encore plus de netteté qu'auparavant, qu'il est préférable pour un enfant d'exprimer ses émotions, y compris sa tristesse ou même sa colère, et même s'il cherche peut-être ainsi à s'accrocher à ses parents. Au moins ne cherche-t-il pas alors à être sage comme une image, donc à ne pas poser de problème pour être aimable... Les enfants n'ont pas à rassurer leurs parents ou leurs enseignants.
Charles
Je me suis rassuré moi-même !
Je ne veux pas entrer ici dans la plainte. J'ai déjà donné. A l'inverse, je voudrais remercier l'école, cette opportunité qui m'a été donnée, grâce à la patience de ma grande soeur, de sortir de la fatalité... Merci à mes maîtres d'école et à mes profs même si je leur en ai parfois fait un peu baver avec mon caractère un peu excessif. Et bon courage à nos petits élèves. Je leur souhaite tout le bonheur du monde, comme dit la chanson ! L'école c'est une grande chance, quoi qu'on en dise !!!!
LL
Bonjour,
Bonjour,
je suis papa de 2 magnifiques garçons : ils sont bien évidemment tous les 2 bien différents, et le plus agé, hugo (7 ans et demi) a depuis la maternelle des difficultés scolaires.... en tout cas du point de vue des enseignants.
En effet, Hugo a du mal à écrire : il semble en retard vis à vis de ses camarades, et ses différentes maîtresses cherchent à nous alerter. Je n'ai pas vu de leur part de solution, mais seulement nous proposer de lui faire rencontrer un orthophoniste...
Après 3 enseignants différents cherchant à se débarrasser du problème comme cela, nous avons décidés avec mon épouse de lui en faire rencontrer un. Rendez-vous dans 1 mois... nous verrons bien.
ceci dit, j'ai le sentiment que l'école est devenue "psychorigide"? on rentre dans le moule, ou on nous en sort.
Je ne sais pas ce que sera l'avenir de Hugo, mais ma femme et moi faisons tout ce que nous pouvons pour qu'il devienne heureux, sans lui demander d'être quelqu'un qu'il n'est pas.
Juliette
orthophoniste ?
Bonjour LL,
Je vais peut-être vous paraître stupide mais je ne comprends pourquoi voir un orthophoniste pour des difficultés d'écriture ?
Quand j'étais petite, au même âge, j'avais aussi des difficultés d'écriture et aussi quelques soucis de motricité (pas très à l'aise avec mon corps). Cela ne m'a pas empêché de faire des études et, je dirais même que je progresse encore aujourd'hui puisque j'arrive à écrire sur ce forum, aux yeux de tous !
Jean
Une question qui m'intéresse !
L'orthophonie : le remède passe-partout ? Je suis un peu beaucoup d'accord avec Juliette. Et pourtant, j'ai une amie orthophoniste. Comme ce n'est pas véritablement le sujet ici, j'ai eu le désir de lancer une discussion à ce propos dans la rubrique " discussion générale ". Peut-être aura-t-on d'autres avis d'enseignants, et pourquoi pas d'orthophonistes ou encore de psys ?