Ils ne savent pas qu'ils ne savent pas !

Portrait de Chantal Calatayud

Les vingtenaires, les trentenaires, les quadragénaires - pour la grande majorité d'entre eux - ne savent pas qu'ils ne savent pas... Un exemple : parlez-leur de la difficulté orthographique de la conjugaison des verbes à la forme pronominale ou de celle qui concerne le mode subjonctif ou même, plus simplement, de la spécificité des accords. Ils sont interloqués, voire offusqués (!) que vous leur laissiez entendre que ces règles ne sont pas évidentes à appliquer. Ainsi vous répondront-ils qu'ils n'ont aucun problème, " eux ", avec la complexité de cette particularité de l'écriture grammaticale. Ils savent ! Si, un peu agacé tout de même, vous vous hasardez à les mettre devant leurs immenses lacunes dans ce domaine, ils esquivent rapidement ou ne comprennent pas, ce qui est encore plus grave. Eh oui, cette génération confond la phonétique avec les lois du discours écrit. La faute à qui ?

Sûrement pas celle des enseignants ! N'en déplaise à certains car il est trop facile de les accuser de la baisse des niveaux scolaires. En revanche, Mai-68 et ses dérives est passé par-là. Il fallait à tout prix donner confiance aux chères têtes blondes en leur permettant d'avoir voix au chapitre, systématiquement, et ne surtout pas les traumatiser avec quelques remontrances pourtant adaptées. Avec, comme justification pratique (et démagogique ?), la récupération détournée des propos de Françoise Dolto traitant du respect de l'enfant. Alors, la société - dorénavant installée dans cette psychologie dangereuse -, devenue sacrément laxiste, a contribué progressivement à appauvrir les fondements d'une communication de qualité. Dans ce magma facile et complaisant, on se surprend d'ailleurs soi-même à opter pour la superficialité. Le vocabulaire se réduit et s'étrique de plus en plus. Si le français élémentaire compte 3000 mots environ, avouons que nous sommes loin de les utiliser dans le langage " courant ". Quant au chapitre des fautes orales, il semblerait que lui, au contraire, s'enrichisse : on ne compte plus les " excès taira " (au lieu de : et cetera), les " un espèce " (une espèce, quelle que soit la suite de l'expression, restant invariable, même en ce début de XXIème siècle !), les " au plan pécunier " (à la place de : au plan pécuniaire), dont nos oreilles sont régulièrement rebattues (et non pas " rabattues " !), y compris dans les émissions de télévision ou de radio... Il est bien évident que tout cela ne serait (peut-être ?) pas si grave si nos vingtenaires-trentenaires-quadragénaires savaient majoritairement qu'ils ne savent pas car, à leur décharge, l'ère des SMS et autres textos n'est pas très favorable au questionnement orthographique. Or, et je suis tout à fait d'accord, il faut vivre avec son temps et la modernité des moyens technologiques. Mais de là à imaginer tout savoir... D'accord, nous sommes enfin sortis de l'époque où les êtres humains, ployant toujours sous le joug de soumissions millénaires, par mémoire funeste interposée, ne savaient pas qu'ils savaient, époque pas si lointaine du reste... L'occasion de réhabiliter un peu Mai-68 : les quinquas, les sexas et plus imaginent souvent qu'ils ne savent pas, tandis qu'ils savent, mais ils restent marqués à jamais par l'angoisse, bien ancrée et encrée, de lever le doigt à l'école et de donner une réponse erronée, d'être sanctionnés par le maître avec sa règle (une autre celle-ci) qui pouvait s'abattre sur quelques extrémités fragiles de la main, mise en position de recevoir des coups sur l'injonction dudit maître courroucé, devenu soudain éducateur...

Certes, entre ceux qui ne savent pas qu'ils ne savent pas et ceux qui ne savent pas qu'ils savent, se trouve une forme nouvelle de conflit générationnel. Pour autant, Erik Orsenna, le romancier et académicien français, rappelle de façon préventive que " Le Savoir est l'arme la plus efficace contre les tyrans ". " La preuve ", explique-t-il, " ils brûlent toujours les livres "...

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Commentaires

Portrait de Gilbert

Bien qu'ancien enseignant, il m'arrive - par manque d'attention et voulant aller trop vite - de faire des fautes d'orthographe. Peut-être par solidarité (consciente et/ou inconsciente ) discutable, très discutable, avec les élèves en difficulté dont j'ai eu la charge pendant des années... Pour autant, j'ai beaucoup aimé cette mise au point judicieuse quant à la difficulté mais aussi la richesse de notre orthographe, qui rapelle aussi  ses origines latines. Très important aussi votre conclusion avec la citation d'Erik Orsena que vous me donnez envie de découvrir. Respecter l'orthographe, c'est implicitement et explicitement se protéger de la barbarie et peut-être du  " barbarisme ", mot  - si je ne me trompe pas ? - venant du latin " barbarimus " signifiant " expression vicieuse ".

Portrait de Domino

Pour vérifier ce triste constat, il suffit de lire les bandeaux qui défilent sur les sites d'informations. Le nombre de fautes d'orthographe qui s'affichent prouve combien la jeune génération a acquis des certitudes déplacées qui les empêchent de voir leurs lacunes. 

Portrait de Danièle-Dax

Même constat quand je vois mon ado de petit-fils. Il est très gentil mais je trouve qu'il s'auto-surévalue et comme il ne supporte pas aisément les remarques justifiées à ce propos qu'on peut lui adresser le cas échéant, mon mari et moi avons décidé de ne plus rien soulever... Malheureusement pour les membres de cette génération, c'est la vie qui se chargera de les remettre à leur juste place et, même si je ne le leur souhaite pas, de manière plus douloureuse...

Portrait de Orlan

C'est sûr qu'avant, nos parents, nos enseignants et autres curés se chargeaient de nous raboter l'ego et c'était très bien ainsi. Pour ma part, je ne le regrette d'aucune façon que ce soit et, quand mon ado personnel fait de l'auto-satisfaction, sa mère et moi lui rabattons tout de suite son caquet car, comme vous le dites, la vie en société ce n'est pas une tartine de miel 

Portrait de Gabrielle

Orlan a raison. Le vie en société et surtout le monde du travail ne fait pas de cadeau. Dans l'entreprise qui m'emploie, je vois de plus en plus de jeunes ne pas tenir le coup. Et comme il y a des demandes derrière, la direction n'a pas d'état d'âme. Il est certain que le laxisme éducatif est une catastrophe à tous les niveaux.