Fête symbolique pour les uns, fête commerciale pour les autres, ce jour annuel - qui met les mamans à l'honneur - est entré dans les mœurs pour le bien supposé de toutes... et de tous...
On retrouve trace de cette célébration déjà dans la Grèce antique où Rhéa, la mère de Zeus, était particulièrement vénérée en mars. Chaque pays a progressivement suivi le principe de ce culte avec plus ou moins de sens sacré. Ainsi sait-on de source sûre qu'en 2014, les Américains ont consacré l'équivalent de 20 milliards d'euros pour rendre hommage à leur maman qui, convertis et ramenés à l'unité, aboutissent à la coquette somme de 160 dollars par personne ! Il est bien évident que chaque famille ne peut pas investir une somme pareille en cadeaux, tout aussi important que soit ce lien maternel. Les colliers de pâtes, les céramiques, les dessins et leur poème, arrivent gentiment à la rescousse d'une dépense dont beaucoup se passeraient bien volontiers compte tenu de leur contexte financier difficile... Rappelons que ces œuvres, venant a priori du cœur de l'enfant, n'existent que sous la houlette du professeur des écoles, programme scolaire oblige ! Cette tradition oublie juste qu'elle peut entraîner des souffrances psychologiques abominables...
Je garde le souvenir douloureux de Annie, ma camarade de classe préférée au début de ma scolarité, qui me confiait détester la Fête des mères. Sa maman était décédée d'un cancer du sein alors que la petite fille était âgée de 5 ans. Les semaines de préparation du cadeau à l'école la rendaient malade... Chaque année, la maîtresse en charge de l' " exécution " dudit cadeau lui conseillait de ne le faire que si elle en avait envie et de l'offrir alors à une maman de la famille ! Comme transfert, il y a mieux mais il en va de la sorte de ces exceptions qui confirment une règle au fond très discutable.
Je garde le souvenir douloureux d'un de mes analysants qui revivait avec une anxiété innommable ce dimanche dédié à celle qui n'avait pas pu l'élever correctement en raison de son alcoolisme, pathologie qui l'avait conduite prématurément au cimetière. Comme si ça ne suffisait pas, sa grand-mère - le jour de la Fête des mères - l'obligeait à aller déposer un petit bouquet de fleurs sur la tombe. Au préalable, le garçonnet devait ramasser des boutons d'or (ce sont ses termes) et les assembler. Il se souvenait qu'il y parvenait " mal ". Logique... Il précisait avec colère qu'il détestait " cette femme " qui lui avait fait honte.
Je garde le souvenir douloureux de cette patiente infirmière, obèse, dont l'infertilité la minait. Ce poids, qui dégradait sa santé, renforçait cependant le fantasme qu'elle était " grosse ", comme on disait autrefois quand la maternité pointait son " naît ". Là encore, le regard des autres et l'incapacité de faire de son mari un papa décuplaient sa culpabilité jusqu'au jour où elle n'a plus pu espérer donner la vie. Curieux destin là aussi. Lors de son dernier rendez-vous, elle avait souligné qu'elle suspendait ses consultations puisqu'elle allait se faire opérer de ses genoux que ses kilos maltraitaient. Ses " je-nous " avaient phonétiquement un air de triangulation... Les suites de son intervention chirurgicale ont donné lieu à des complications insurmontables. Elle a quitté la vie à la clinique, imaginant certainement qu'ayant perdu le combat qu'elle menait pour que son utérus ait une raison d'être, elle n'avait plus rien à faire dans cette dimension...
Je garde le souvenir douloureux de ce garçon d'une douzaine d'années qui, en 1986, tandis que ses parents étaient séparés, avait fait 450 kilomètres, seul, pour rejoindre son père, l'ado affirmant aux micros des journalistes qu'il ne désirait plus jamais revoir sa mère... Ce différend a d'ailleurs laissé à ce jeune des traces inconscientes indélébiles dans la mesure où, une fois devenu adulte, son histoire s'est répétée : une union sentimentale avec une Allemande, une grossesse, une petite fille, une séparation, une maman quittant la France sans crier gare avec son enfant, sans l'accord du papa, pour retourner vivre dans son pays d'origine, une bataille juridique éprouvantable pour tous les membres de la famille...
Je garde le souvenir douloureux de cette anorexique qui a défrayé la chronique en posant nue et dont les photographies agrandies au maximum et postérisées ont été placardées sur des palissades urbaines. Peu de temps après, cette jeune femme est morte des suites de ses carences. Sa génitrice, aux prises a priori avec un affect de mauvaise mère, s'est suicidée deux mois plus tard...
Décidément, je n'aime pas la Fête des mères qui incite mes propres enfants, bien qu'ils connaissent mon détachement conscient (!) pour cette manifestation, à me la souhaiter... En sachant, en outre, que je garde un souvenir douloureux de l'absence de mon père à Noël. Ceci étant, voilà encore une tradition synonyme de peine pour toutes celles et ceux qui ont perdu un enfant. La Fête des pères n'échappe pas davantage à ces mouvements trop fréquents de tristesse et ce, quelle qu'en soit l'origine. Effectivement, aimer se conjugue à deux. Pour autant, quand ce binôme ne fonctionne pas ou plus, ces drames existentiels ont-ils le dernier mot ? Non et fort heureusement ! Une sagesse confirme cette affirmation. Ne dit-on pas que les plus belles choses du monde sont invisibles...
Commentaires
Cécile
Une pensée pour ces enfants en souffrance aujourd'hui
Votre texte fait du bien. Oui, il fait du bien parce qu'on oublie trop ces enfants ou ex-enfants qui souffrent aujourd'hui de ce symbolique discutable qui rouvre des plaies. J'ai été très émue par ce petit garçon victime d'une tradition cruelle et du comportement discutable de cette grand-mère. Les autres exemples parlent aussi, mais votre conclusion reste pleine d'espoir, et c'est l'essentiel !
Allain
Une ineptie sociétale
Je salue votre franchise Chantal Calatayud et vous remercie de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ces fêtes annuelles ne présentent plus aucun intérêt car elles ont perdu leur sens sacré initial et c'est de fait pour cette raison qu'elles peuvent renforcer le désespoir de certains...
Ari
De l'empathie de pacotille
J'allais souligner l'intérêt du message que fait passer le contenu de ce blog quand j'ai découvert vos posts, Cécile et Allain...
Il me semble que tout un chacun a pu côtoyer des enfants ou des adultes en souffrance lors de dates qui se veulent festives alors qu'elles zappent carrément un aspect évident et manifeste de la détresse humaine. Ce blog m'a conduit du côté de la Syrie, qui est un pays que je connais très bien... Qu'a pu être aujourd'hui la Fête des mères pour celles qui ont perdu un ou plusieurs de leurs enfants dans les bombardements ? Comment a pu se passer aujourd'hui la Fête des mères pour ces enfants qui ont perdu leur maman sous les bombes ? Et il n'y a pas que la Syrie... À une époque où il est d'usage de se dire en empathie, l'égoïsme sévit plus que jamais. Il s'agit-là d'une forme de barbarie bien attristante...