La maladie alcoolique

Portrait de Carole Vallone

J'ai assisté il y a quelques jours à un échange professionnel entre deux médecins addictologues qui évoquaient le cas clinique d'un patient alcoolique. L'un des deux confrères prononça, au sujet de
cet homme, une phrase pleine d'évidence mais qui, malheureusement, ne fait toujours pas écho dans les mentalités :
. " Le début de sa maladie s'est manifesté à ses 18 ans "...

... " sa maladie... " : pour cet homme de science, il n'était pas question de parler d'emblée d'une consommation d'alcool quelle qu'elle puisse être, mais d'une maladie qui se réveillerait a priori d'ailleurs chez certains et pas chez d'autres puisque des chercheurs pensent aujourd'hui que chaque être humain serait porteur de ce gène... Contrairement donc à encore trop d'idées reçues, il s'agit d'une pathologie grave et non pas d'un plaisir. Pour quitter cette approche erronée, très vite apparentée à la notion de fête, j'évoquerai une intellectuelle brillante : Marguerite Duras...

Marguerite Duras, l'écrivain, était alcoolique. Elle disait, entre deux cures de désintoxication, qu'elle était une alcoolique qui ne buvait plus... Elle n'a jamais caché sa problématique et s'en ouvrait même avec une profonde réflexion lors d'interviews. Une introspection en direct et une authenticité qui pouvaient renseigner les familles touchées par ce fléau. Ce qui est particulièrement intéressant dans l'histoire de cette femme d'esprit, c'est quelle avait, mais en tant que malade, une vision cosmologique, métaphysique et psychiatrique de l'alcoolisme :
. " L'alcool a été fait pour supporter le vide de l'Univers, le balancement des planètes, leur rotation imperturbable dans l'espace, leur silencieuse indifférence à l'endroit de votre douleur... L'alcool ne console en rien, il ne meuble pas les espaces psychologiques de l'individu, il ne remplace pas le manque de Dieu. Il ne console pas l'Homme. C'est le contraire, l'alcool conforte l'Homme dans sa
folie, il le transporte dans les régions souveraines où il est maître de sa destinée "...

En relisant ce point de vue, j'ai le sentiment que Duras introduisait aussi une dimension quasiment cosmogonique de la maladie alcoolique en livrant ses perceptions les plus intimes : une création
spirituelle de l'Univers (plus que religieuse ou philosophique). Elle le faisait quoi qu'il en soit avec une souffrance proche de la résignation...

Ne pourrait-on pas, à notre tour, évoquer la conception aristotélicienne de l'Être en tant que substance (l'unité, l'Un, l'Esprit, sorte de perfection inhérente à l'état humain - Françoise Dolto ne parlait-elle pas d' " intelligence débile, normale ou supérieure "...), substance " première " grâce à laquelle il serait possible de communiquer, notamment en vertu des questions que tout dialogue initie : Où, Quand, Comment, Qui, Pourquoi ? Toutefois, selon Aristote, cette substance a également une forme (" ousia ") mais qui peut parfois être accidentée : ce qui pourrait en attester, c'est lorsque les questions liées aux Où, Quand, Comment, Qui, Pourquoi ?, restent sans réponse, ou que les réponses sont manifestement éludées par l'interlocuteur ou carrément mensongères, comme souvent chez le malade de l'alcool. Une substance qui abrite, de facto, un caractère plurivoque, comme une espèce de contradiction avec l'essence même de l'Être. Cependant, précisons qu'avec un peu de tolérance, nous constatons systématiquement que seule la différence permet de générer la Vie. Ne se transmettant qu'à cette condition-là, l'alcoolisme s'inscrirait, certes douloureusement, en tant qu'opposition nécessaire à la sobriété, l'équilibre, l'harmonie, mais pour que la race humaine puisse se pérenniser... Rappelons encore que l'individu n'étant que perfectible, c'est justement cette singularité qui donne tout le sens à son existence...

Poursuivre ce débat sur les raisons psychologiques, philosophiques, ontologiques, de la pathologie alcoolique, pourrait être passionnant, constructif et évolutif... Merci de donner votre avis personnel et de lancer des pistes pour contribuer à ce que cette maladie vieille comme le monde ne résiste plus à dévoiler ses rouages...

Commentaires

Portrait de Gilbert. R. Psychanalyste

Tout d'abord merci, Carole, pour ce texte fascinant, et surtout exempt de tout jugement moral. Ce lien entre l'alcoolisme et le manque de Dieu me parle tout particulièrement. En effet, j'ai, dans mon entourage, un ami ayant souffert de cette pathologie que l'on aurait tort de banaliser. Il s'agit d'une véritable souffrance empreinte d'une dimension honteuse. Cet ami, sensibilisé par la spiritualité, a eu le courage d'en parler, de suivre une cure de désintoxication (pas vraiment réussie). C'est en m'appelant au secours, un dimanche (jour du Seigneur), que j'ai pu lui donné les coordonnées d'un collègue Psychanalyste. Le connaissant depuis plus de 30 ans, je ne pouvais pas raisonnablement m'en occuper moi-même. Sa maladie n'a - à aujourd'hui - pas complètement disparu mais il n'en est plus invalidé et l'accepte comme une béquille symptômatique qui lui est une source d'interrogation. En espérant que d'autres personnes, souffrant du même mal, puissent enfin retrouver espoir grâce à votre blog, je réitère ici mes remerciement et invite quiconque désirant en parler à s'inscrire (pourquoi pas sous un pseudo) pour converser avec nous...

Gilbert R.

Portrait de Catherine H Psy

Bonjour Carole,

Je vous remercie pour votre texte qui m'a permis de préciser ma pensée sur la notion de gènes, d'identification et d'unicité de l'Homme.

Mon grand-père est mort d'un delirium tremens, seul, à l'hospice; deux de ses fils sonts morts acooliques, l'un clochard, l'autre tué lors d'une "bagarre d'ivrogne". Mon père, lui ne buvait pas, mais un médecin du travail lui avait suggéré d'arrêter de boire, son bilan sanguin témoignant d'un foie souffrant...

Cette filiation montre que chacun, à sa manière, mais en utilisant le symtôme alcool,a cherché à faire valider son appartenance à la constellation familiale, fantasmatique, quelque soit le chemin emprunté, pour ne pas prendre le risque de se retrouver seul.

On voit bien alors le masque douloureux, voire dramatique, que peut prendre la jouissance inconsciente à vouloir être reconnu et accepté.

Repérer ces compulsions, s'interroger sur ces répétitions, et leur donner du sens - la psychanalyse y travaille -   permet de pouvoir se dégager de la soumission à une hérédité logique, génétique, à un inéluctable qui "noie" l'unicité de chacun, et cela au seul risque de faire émerger son désir.

Catherine Huet.

 

Portrait de Nathalie-196

Vous venez de bien me faire comprendre, Catherine, ce qui se passe dans ma famille qui compte beaucoup d'alcooliques, sans omettre ceux que je ne connais pas et ceux bien entendu que je n'ai pas connu puisqu'ils sont morts avant ma naissance...
L'histoire du bilan sanguin de votre père me fait saisir quelque chose qui m'a toujours contrarié: j'ai une tête d'alcoolique depuis l'âge de 30 environ, alors que je ne bois pas pour ainsi dire pas d'alcool. Une coupe de Champagne à Noël ou pour un anniversaire. L'alcool me fait peur! Pour insister sur ma tête d'alcoolique, on me donne facilement 10 ans de plus que mon âge (j'ai 49 ans). Merci de votre authenticité Catherine et de la façon pudique et Claire à la fois d'expliquer pourquoi cette foutue maladie se reproduit comme ça dans les familles.

Portrait de cricri

J'avais une tante, aujourd'hui décédée (Paix à son âme), qui était exactement comme vous Nathalie. Elle ne buvait pas une goutte d'alcool, elle détestait l'alcool au point qu'elle ne se mettait pas de verre à table. Et dans la famille, on le savait... Donc, quand elle était invitée, on ne lui mettait pas de verre. C'était comme une histoire sans parole. C'est son père qui était alcoolique et qui en est mort du reste assez jeune : un cancer du foie. Ma tante avait aussi une tête d'alcoolique : traits épais, peau couperosée, gros nez violacé, du ventre. Et moi je l'ai toujours connue comme ça. Vous me permettez de comprendre quelque chose maintenant : elle a fait beaucoup de chutes dans sa vie. Elle s'est souvent blessée en tombant de son vélo. Et il fallait la plupart du temps aller chercher son père dans la rue qu'on retrouvait couché sur le trottoir ivre-mort... Quand on n'est pas atteint soi-même dans sa chair par ce gêne, il faut remercier Le Bon Dieu...

Portrait de Catherine H Psy

 Un simple commentaire , Cricri, à votre réaction, que je trouve très parlante.

On voit bien l'importance du non-dit dans la sphère familiale, ce symptôme transgénérationnel, qui s'exprime, même si au conscient , il est camouflé, dénié, ou tu.

Portrait de Modérateur