Le scandale de l'aménagement de la loi Evin

Portrait de Carole Vallone

En France, 50000 personnes décèdent chaque année de pathologies ou de comportements liés à l'alcoolisme. Outre les familles concernées qui, dans ce cas-là, supportent difficilement l'anxiété, voire la violence au quotidien, les accidents de la route et leur kyrielle de conséquences achèvent de noircir un tableau aussi sombre médicalement que sociologiquement. Il semblerait pourtant qu'en Juin 2015, certains élus de la République ignorent encore les drames de cette addiction...

C'est ainsi que ce 11 juin, des députés ont jeté un regard surprenant sur le texte de loi qui régit la publicité sur les alcools depuis 1991, jugeant bon de l'assouplir pour protéger et pérenniser, selon eux, " la tradition viticole fortement imprimée dans la culture française " ! Marisol Touraine, le ministre de la Santé, est apparue bouleversée dans une interview qu'elle a accordée dans les heures qui ont suivi ce vote " délirant " : " C'est un coup dur porté à la Santé publique ", a-t-elle déclaré. " Je regrette ", a-t-elle ajouté, " que la loi Macron serve à détricoter la loi Evin. Je veux rappeler que la loi Evin permet depuis 30 ans d'encadrer, et non pas d'interdire la publicité pour l'alcool. Il ne fallait pas y toucher ", a-t-elle conclu...

C'est Gérard César, sénateur de la Gironde (!), qui est à l'origine de la proposition de l'aménagement de l'amendement. La question que je me pose devant autant d'irresponsabilité consiste à savoir quels sont les intérêts personnels qui ont pu pousser cet homme vers cette dérive ? Claude Evin lui-même, interrogé sur la gravité de ce sujet, s'est déclaré " inquiet ", tout comme les responsables d'associations œuvrant dans la prévention de l'alcoologie. La ligue contre le cancer a, de son côté, parlé d'un " amendement meurtrier ". Le Professeur Jacqueline Godet, sa Présidente, est montée au créneau en donnant son point de vue : " Différencier information et publicité sur l'alcool ne permettrait pas de préciser certaines choses mais bel et bien de banaliser, voire d'encourager, la consommation d'alcool et favoriser le lobbying des alcooliers. "...

Personne ne peut plus ignorer aujourd'hui l'incitation à consommer que constituent les campagnes publicitaires et ce, quel que soit le produit. La communication par l'image atteint de nos jours une qualité telle que cette invitation virtuelle nous fait intégrer la valorisation de la denrée au point que nous nous retrouvions systématiquement en flagrant délit d'achat de marques " vues à la télé ", découvertes dans les magazines ou sur les panneaux d'affichage. Qui pourrait avoir l'audace de contester ce fait avéré ? Il est certain que tant qu'il s'agit de proposer du bio, des vêtements écolos, du mobilier, des séjours nature, ou autres suggestions de même type, la démarche des annonceurs est plus que légitime et présente même l'avantage d'ouvrir des horizons souvent méconnus en termes de bien-être et de bien vivre. Par contre, l'alcool - taxé de " drogue dure " par le chanteur alcoolo-dépendant Renaud, est un poison - le plus souvent mortel - qui a des retentissements destructeurs énormes sur l'ensemble de la société. Il serait intéressant de conseiller à Monsieur César de rendre visite à des patients en phase terminale d'un cancer du foie, par exemple, ou lourdement handicapés à la suite de traumatismes cérébraux et/ou corporels de la circulation, ou d'aller discuter avec des alcooliques qui n'arrivent pas à se sortir de leur piège fatal et de partager une petite semaine avec eux, ou d'interroger des conjoints d'alcoolo-maniaques, pour qu'il revoie sa copie. Peut-être parviendrait-il alors à entendre les propos de l'Institut National du cancer qui assure que la loi Evin, depuis son application et en quelques décennies, " a participé à faire reculer la consommation d'alcool en France, baisse qui s'est traduite par une diminution des cancers liés à l'alcool."...

Commentaires

Portrait de nanou-69

J'ai travaillé dans un bar et je vous assure que j'ai connu la déchéance humaine... J' y ai rencontré le père de mon fils; ça devait être mon destin.N'empêche que je suis d'accord avec tout ce que vous dites, l'alcool est un véritable poison.

Portrait de Viviane

N'ayons pas peur des mots et disons direct, que "revoir" cette loi, doublement protectrice, revient à un retour en arrière dangereux... Juste parce que certains y voient leur propre intérêt, et à différents niveaux, d'un pouvoir qu'il cherche à pérenniser à n'importe quel prix... Mais s'appeler Monsieur César, est peut-être à prendre en compte (ce que je dis là, n'engage que moi)... Me vient une question, en parallèle de ce que dit Carole Vallone... Est-ce que ce monsieur, se positionnerait de cette façon-là, s'il était directement concerné sur un plan personnel, familial par les dégâts de l'alcoolisme ?

Portrait de Hugo Natoli Psychanalyste

Comme le dit Carole Vallone, et les chiffres en témoignent, la loi Evin a permis une diminution objective de la pathologie alcoolique. Il s'agit donc bien d'une loi protectrice ( ce qui est un pléonasme ). Du point de vue psychanalytique, revenir sur cette législation équivaut à une régression. Imaginons un père qui interdisait jusque là les sorties en boite de nuit à son adolescent mineur et qui reviendrait sur sa décision parce qu'un de ces nouveaux gros clients est propriétaire d'une boite de nuit.
C'est à se demander qui fait les lois dans notre pays. Gérard " César  " ne serait-il pas influencé, outre le fait qu'il soit député de Gironde et viticulteur, par un archétype discutable lié à son patronyme romain ? En effet la locution latine " In vino veritas ", que l'on trouve chez Pline l'Ancien dans son ouvrage " Histoire naturelle ", impliciterait que la vérité serait dans le vin. Mais une extrapolation de la maxime, bien plus protectrice, existe : " In aqua sanitas " ( dans l'eau la santé )...

Portrait de Allain

J'aime beaucoup votre commentaire Cher collègue...

Je ne savais pas que Monsieur Gérard César était viticulteur! En revanche, pour en revenir au raisonnable Claude Evin, compte tenu de son patronyme, on peut dire que psychanalytiquement, il peut être touché dans sa Psychogénéalogie par un alcoolisme transgénérationnel compulsif, et ce d'autant plus qu' il est né à Cellier! Son inconscient sait donc de quoi il parle et met en garde de manière protectrice... Malheureusement, chacun a ses limites et dans notre société, les enjeux économiques et pécuniaires PERSONNELS entraînent la lutte du "pot"  de fer contre le "pot" de terre...

Portrait de Ari

Je partage l'inquiétude de Carole Vallone, de Madame Marisol Touraine et de Monsieur Claude Evin, c'est une évidence. Je pense aussi aux familles touchées par la maladie alcoolique qui doivent être abasourdies... Pour couronner le tout, il me semble avoir entendu que Monsieur François Hollande s'était rendu sur un Salon dédié aux vins et autres alcools : de la démagogie assassine. Une honte.

Portrait de Gilbert

Tout à fait solidaire de vos commentaires. On a l'exemple même d'une société en décadence dirigée par des irresponsables.

Portrait de Luce Psy

Je n'ai aucun goût pour la vengeance mais chacun a un surmoi... Ces élus, "scotchés" à leur compte en banque, connaîtront un jour ou l'autre les affres de leurs comportements anti-médicaux, anti-sociaux... Comme tout psychanalyste le sait, ils les retourneront contre eux, pas fatalement bien sûr en devenant alcooliques, mais en développant par exemple une pathologie qui nécessitera des soins exigeant de... l'alcool! On a eu un cas similaire dans ma famille quand j'étais enfant. Un cousin par alliance avait acheté un bar où les consommations d'alcool importantes lui ont permis de devenir riche. Un week-end, qu'il s'était offert exceptionnellement en fermant tout aussi exceptionnellement son bar (j'ai envie de dire son entreprise de pompes funèbres...), il a été tué sur le coup dans un accident de la route : un chauffard ivre, venant en sens inverse et ayant franchi la ligne "jaune" (!), a percuté violemment son véhicule... 

Portrait de yamina.174

L'exemple de votre cousin devrait en faire réfléchir plus d'un et notamment les profils matérialistes comme Monsieur Gérard César... Mais encore ne faut-il pas se vivre au-dessus des lois et se fantasmer immortel... 

Portrait de Jean

Je suis entièrement d'accord avec Carole lorsqu'elle évoque une publicité légitime et évolutive. J'ai d'ailleurs depuis longtemps remarqué à ce propos qu'il n'existe aucune incitation destructrice sur le site de  " Signes & sens ". C'est d'ailleurs une des raisons qui fait que je suis un fidèle lecteur depuis longtemps. Lorsqu'on sait l'argent que pourrait générer la publicité pour l'alcool, cette position éthique me force au respect !

Portrait de Orlan

Même remarque que Jean.

Je ne connais pas le fonctionnement interne de Signes et Sens, bien entendu, mais dès le début où je suis venu sur ce forum, j'ai constaté qu'il n'y avait aucune pub pour l'alcool et ça m'a autant étonné que séduit. J'en ai conclu que la direction de cette société respecte effectivement, et comme le dit Jean, une éthique, ce qui est rare quand on connaît les budgets que sont capables d'allouer les alcooliers pour que leur pub soit sur le devant de la scène...

Portrait de Juliette

On a bien la preuve que les politiques sont à leur service et celui de leur compte en banque et, non au service de la collectivité et de sa protection. 

Portrait de sylvie.imbert

Oui c'est un scandale car cela incite les jeunes à boire et par la même les expose à devenir dépendants.

Mais il y a un scandale bien plus grand encore, qui est le refus quasi systématique des alcoologues à prescrire le seul traitement efficace contre l'alcoolisme : le baclofène.

Je vous invite à lire à ce sujet  la thèse de médecine de Paul MONGUILLOT soutenue en décembre dernier

http://urlz.fr/23WS

Portrait de Luce Psy

Merci Sylvie Imbert de rappeler les résultats étonnamment bénéfiques du Baclofène, d'autant que c'est un médecin alcoolique dernier degré qui l'a essayé à hautes doses sur lui et que sa dépendance à l'alcool a été supprimée.

D'après ce que j'en sais, les autorités médicales freinent par rapport aux enjeux économiques liés à l'alcool en France et vous n'êtes sûrement pas sans ignorer que les médecins ont maintenant des comptes à rendre en matière de prescriptions s'ils ne veulent pas avoir d'ennuis avec le Conseil de l'Ordre...

Portrait de Gilbert

J'ai entendu parler de ce médicament par un ami addictif, donc directement concerné par la question. Il a essayé à partir de la lecture d'un livre d'un médecin ayant guéri de son propre alcoolisme grâce à celui-ci. Le problème, c'est que mon ami a connu des effets indésirables (baisse conséquence de libido,  vertiges, nausée...) dus peut-être à un manque d'informations du médecin alcoologue. Depuis, il a mis en place un travail psychanalytique qui semble s'avérer efficace, pour lui en tous cas. Ce qui ne dénigre en aucun cas ce médicament qui, m'a-il dit, a admirablement fonctionné pour d'autres.

Portrait de Lakshmi

Qui aurait cru que l'on ne fume plus dans les bars tabacs, les administrations, les restaurants ? Monsieur Evin a contribué à une belle prise de conscience. On peut se demander si cet amendement ne peut pas être une porte ouverte pour les marchands de tabacs, les cigarettiers, etc...